Les Fragments du Vide

La Comédie funèbre
Résumé 1.2, Année 1120, Tatsuya no Monogatari

La Comédie funèbre

Contribution de Breloque
竜也の物語

Où en étions-nous déjà ?

Laissez-moi un instant pour rassembler mes souvenirs.

Ah oui : Kenson Gakka. Après l’envol des faucons. Nous sommes en l’an 1120, au dix-neuvième jour du mois du Singe.

J’ai suivi les moines jusqu’aux portes de la ville.

Je prends le risque de la franchise avec Noshin, le chef des moines de Yaruki Jukko. Je lui dis ma certitude que ceux de sa congrégation qui tenaient les coffres ne sont pas innocents. Noshin refuse que je les interroge. Il souhaite le faire en premier et tirer cette affaire au clair. Soit. Je lui rappelle que la sécurité des moines de Shiro Daidoji demeure sous sa responsabilité. Il m’invite à passer au Temple un peu plus tard.

Pendant ce temps-là, Kakita-sama, tout à son rôle d’émissaire impérial, suit le daimyo et sa cour pour passer en revue les unités du clan du Lion dans les différents quartiers de la ville, accompagné d’Iuchi-san, de Daidoji-san et d’Isawa-san.

C’est ce jour que je prends conscience que les festivals du clan du Lion sont d’une tristesse à faire pleurer les pierres. C’est donc ça l’essence de la célébration pour l’honorable clan du Lion ? Parader et tournoyer ? On les sait obnubilés par la chose militaire mais de là à faire l’impasse sur tout ce qui fait le sel d’un festival réussi, je trouve ça bien maussade. Où sont passés les feux d’artifices, les chars colorés, les forains bruyants, les vœux aux kamis, l’odeur des boulettes grillées et les rires des enfants ? A peine avons-nous croisé une troupe de théâtre Kabuki et quelques vendeurs de brochettes…

Je m’assois un instant sur un banc à l’extérieur d’une auberge pour faire le point… et déguster un délicieux umeshu aux prunes d’été. Acidulé et corsé, comme j’aime. Je reconnais leur savoir-faire en matière de distillerie.

Le sinistre augure dans les feuilles de thé, puis l’envol des colombes. Quelque chose se trame en ce moment même dans la ville et le Lion ferait bien de prendre garde plutôt que de se complaire dans ses victoires passées.

Je finis par rejoindre Kakita-sama, à la mine toujours aussi sévère. Daidoji-san garde un œil en permanence sur le dos du jeune maître.

La suite de l’histoire m’a été racontée par Iuchi-san. J’espère rendre honneur à son récit.

Un attroupement vers le Temple des Sept Fortunes pique la curiosité de la shugenja Licorne. Elle entend des heimin murmurer au sujet d’un monstre qui aurait investi le temple. Proches de là, deux samurai du Lion sont en grande conversation avec deux samurai du Crabe, dont Yasuki Genji, déjà croisé la veille. Ils se disputent sur la meilleure approche : ceux du Crabe préconisent d’attendre l’arrivée d’un des leurs, chasseur de sorcières, alors que ceux du Lion proposent d’entrer sans tarder.

Iuchi-san donne raison à ces derniers et pénètre dans le temple, laissant les samurai à leur conciliabule.

Une singulière odeur de métal rouillé flotte dans l’air. Un bruit de raclement contre la pierre se répète. Le temple est plongé dans la pénombre. Elle s’empare d’un cierge au pied de la statue de Bishamon, Fortune de la force. Le temps d’allumer sa bougie et le bruit s’est arrêté. Un frisson court le long de son échine. N’a-t-elle pas été présomptueuse à pénétrer seule en ce lieu face à un danger inconnu ?

La statue de Kisshoten attire son attention, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. L’offrande d’un bol de riz gît à ses pieds, ainsi que deux bâtons d’encens qui se consument lentement, deux points rougeoyant pareils à des yeux inquiétants.

Un choc sourd. Juste derrière elle. Surprise, Ayame-san lâche sa bougie en voulant porter la main à son cartouche à parchemins, dans un réflexe de défense. La flamme qui roule à ses pieds projette des ombres sur une créature à l’aspect étrange. Petite et maigrichonne, une peau mordorée aux reflets chitineux, un visage reptilien entouré d’une opulente crinière. Et de grands yeux vides qui la fixent.

Son cœur manque un battement. Un détail attire son attention : la créature porte des vêtements, des guenilles tout au plus, et pose la main sur une canne. Quel genre de monstre utiliserait-il une canne pour se déplacer ? À cette pensée saugrenue, Iuchi Ayame bredouille des présentations à la créature qui l’observe. Cette dernière lui répond très lentement :
« Elle est venue honorer les Fortunes pour la que Grande Eau retrouve la paix. Allez-vous m’aider à soigner la Grande Eau ? Êtes-vous l’envoyée des Fortunes, la réponse à mes prières ? »

Un gros homme barbu pénètre dans le temple comme s’il était chez lui. C’est le cas. Hoji-san, le bedonnant moine gardien du lieu révèle à Iuchi-san le nom de la singulière créature : Kakera.

Cette dernière tend son doigt crochu vers le bol d’offrande avant de reprendre son très lent discours, détachant les syllabes les unes après les autres :
« Je suis venu rencontrer l’homme qui a déposé ceci. Ça sent la Grande Eau. M’aiderez-vous à le trouver ?»

Je rejoins les autres lorsqu’un serviteur, front contre terre, vient informer le daimyo Matsu Kioma que le temple des Fortunes serait profané par un monstre en ce moment-même. Échaudé par l’épisode des colombes, le sang de Matsu-sama ne fait qu’un tour. Il décide d’aller régler lui-même ce problème.

Arrivé au temple, je suis agacé de voir qu’il pénètre sabre au clair dans ce lieu sacré. Le Lion manque de respect envers les Fortunes et je trouve ça particulièrement déshonorant.

La colère du daimyo est palpable quand il découvre la scène : Hoji-san, que j’ai rencontré plus tôt ce matin, et Iuchi-san sont face-à-face avec… un zokujin ? La créature bondit à grande vitesse sur une poutre du temple, à plusieurs mètres de hauteur. J’ai de nombreuses fois entendu parler de ces gobelins de cuivre que le clan du Lion utilise comme esclaves dans ses mines. Mais jamais jusqu’à aujourd’hui je n’avais eu l’occasion d’en voir un… ou une ?

Le daimyo range son katana et lance d’une voix forte qui ne masque pas sa colère :
« Que fait un zokujin ici ? Faites immédiatement retourner cette créature dans son labyrinthe ! »

Le moine tente en vain d’invectiver Kakera à redescendre, mais rien n’y fait, le gobelin fixe ses grands yeux blancs sur Iuchi-san. La samurai-ko lui adresse quelques mots : « Redescendez. Je répondrai à votre requête. »

La créature s’exécute lentement et est conduite hors du temple sous la garde de deux samurai du Lion. C’est bien dommage, j’aurais aimé pouvoir échanger avec elle.

Hoji-san s’empresse de rallumer les braseros pour offrir un peu plus de lumière. Le daimyo s’approche d’Iuchi-san d’un pas vif, sa suite à quelques pas derrière lui. « Quel rapport avez-vous avec cette créature ? » demande-t-il d’un ton péremptoire. Iuchi-san lui relate brièvement son échange avec Kakera. Le daimyo est sceptique : un gobelin n’est pas censé parler.

Kakita-sama fronce son monosourcil et présente ses excuses pour le comportement vaporeux d’Ayame, « pareil à ceux de son clan ». Je trouve l’attitude de Kakita-sama inadéquate. Iuchi-san n’a rien fait de mal, et insulter son clan n’est pas une manière honnête de protéger son honneur. Ne devrait-il pas plutôt faire confiance à Ayame-san et se porter garant de sa bonne foi plutôt que de la mettre en porte-à-faux face à un puissant colérique ? Il reste encore du chemin pour que Kakita-sama dépasse son rôle de fonctionnaire intransigeant et devienne un véritable meneur d’hommes et de femmes.

C’est au final une avenante courtisane – que j’aperçois pour la première fois – qui tire Ayame-san d’affaire en s’adressant à elle, mais audible de tous :
« Manifestement, vous n’avez pas récupéré de votre coup à la tête lors du tournoi… »

La manœuvre est habile. J’apprends plus tard qu’il s’agit de Tonbo Hiroe, du clan de la Libellule. Elle est ce Fragment du Vide à la nature étrange que j’étais le seul à n’avoir rencontré jusqu’à présent. J’aurais aimé m’entretenir à mon tour avec elle, mais elle se dérobe avec le reste de la suite du daimyo.

L’hatamoto prend Kakita-sama à parti. Il lui demande de rester à l’écart désormais. Le daimyo souhaite retrouver de la quiétude, suite à ce nouvel impair dans le festival. Le camouflet est dur à encaisser pour Kakita-sama, mais il reste digne et courtois. Une petite voix me murmure que le daimyo aura d’autres sources d’inconfort d’ici la fin du festival de la Tortue Humble.

Nous nous rendons dans les jardins en face du temple pour faire le point sur la situation. Kakita-sama admoneste Iuchi-san pour son comportement dans le temple des Fortunes. Je me garde d’intervenir mais je réserve ce sujet à une conversation ultérieure et privée avec lui. Kazehiko nous apprend qu’il a observé en détail l’offrande qui a attiré Kakera, sans toutefois y détecter d’anomalie.

Des éclats de voix venant du mur d’enceinte nord attirent notre attention. Nous apercevons Akodo Ikare en train de vilipender un garde, le poussant de façon menaçante au bord du rempart. Il semble plus colérique que ce que nous avions pu constater jusqu’à présent.

Quelques instants plus tard, on entend Matsu Miko, la femme du daimyo, en train de badiner en tête à tête avec quelqu’un, derrière une haie des jardins. C’est un grave manquement à l’étiquette. Yuki-san s’approche discrètement et constate que le mystérieux galant n’est autre que le général Akodo-sama. Celui-là même que nous avons aperçu sur le mur d’enceinte il y a quelques instants ? Impossible ! Et pourtant…

Les signes d’un complot en train de s’épanouir sous nos yeux sont de plus en plus concrets. Je regarde désormais d’un œil inquisiteur la troupe de Kabuki qui joue dans la rue non loin. Mais rien d’anormal ne transparaît dans leur performance, si ce n’est que leur art est plutôt brut comparé à mes humbles connaissances. J’ai peur que ce ne soient pas les seuls comédiens dans les environs.

Nous retournons à l’intérieur du temple afin de mener quelques investigations. Kakita-sama interroge en vain une vieille heimin à l’œil torve. Hoji-san arrive les bras chargés de parchemins et de rubans de soie. Il s’affaire à nouer les rubans en motifs complexes pour une prochaine cérémonie. Ayame-san l’aborde pour en apprendre plus sur sa rencontre avec Kakera.

Celui-ci lui répond volontiers :
« Sous le temple repose un vieux labyrinthe, du temps où le clan du Scorpion occupait la place. Des zokujin ont fui les mines et l’occupent maintenant. Kakera est une femelle de sa race, plus volubile et moins craintive des hommes que ses congénères. Elle ne rentre pas à l’intérieur du temple d’habitude, je ne sais pas ce qui lui a pris. »

Iuchi-san demande au moine ventripotent qui donc aurait apporté l’offrande aux pieds de la statue de Kisshoten. Malicieux, le vieux moine invite Ayame à faire une offrande pour l’entretien des lieux. Elle donne quelques zeni et Hoji-san qui révèle que ce n’est autre que Noshin, le chef des moines de Yaruki Jukko.

Pendant ce temps, j’allume plusieurs bâtons d’encens et adresse une prière à Kisshoten. J’en appelle à mon don de clairvoyance. Sous le regard de mes camarades et d’Hoji-san, les volutes d’encens prennent vie pour former un paysage. Une rivière, un pont, un fortin. Un petit oratoire au bord du chemin. La fumée se concentre pour former de lourds nuages d’où s’échappent des éclairs. L’orage se déplace de Kenson Gakka vers les montagnes. Les terres du Scorpion.

Voilà qui confirme mes hypothèses les plus pessimistes.

Deux bushi du Lion font irruption dans le temple, mettant fin à ma transe. Ils fouillent partout, retournant sans ménagement le mobilier. Encore une démonstration du peu de respect pour ceux de leur clan pour tout ce qui est sacré. Ils disent chercher le fils d’Akodo Ikare : il a été kidnappé.

Les présages.
L’envol des colombes.
Le zokujin dans le temple.
Le général en double.
La femme du daimyo qui batifole dans les jardins.
L’existence d’un labyrinthe sous la ville.
Et maintenant l’enlèvement du fils du général ?

Il est temps de cesser de subir les évènements et de prendre des initiatives. Je décide de visiter ce fameux labyrinthe sous la ville. J’ai un mauvais pressentiment. Je suis obligé d’insister auprès d’Hoji-san, qui est mal à l’aise car il est en temps normal interdit à quiconque de pénétrer sous le temple. A l’arrière de celui-ci, il y a une petite cour et un endroit où il faut se pencher pour passer sous les pilotis du temple jusqu’à une trappe. Ayame-san se propose de m’accompagner. Je l’invite à ne pas le faire, il ne sert à rien que nous soyons deux à briser le tabou de l’interdiction qui pèse sur cet endroit.

Dans le labyrinthe, malgré les marques que je laisse au sol, je finis par me perdre. Mon intuition se confirme cependant : le dédale tentaculaire s’étend sur toute la ville… et même au-delà. Je découvre aussi des marques claires d’activité récentes. Certains tunnels ont été étayés récemment, certains passages maçonnés de frais. Aucune trace de Kakera ou des zokujin. Le Lion serait-il orgueilleux au point de négliger la termitière sous sa tanière ? Le Scorpion aura tôt fait de venir le piquer pendant son sommeil…

Pendant ce temps-là, Kakita-sama et les siens croisent le chemin d’Akodo Ikare – ou de l’un d’entre eux tout du moins. Ils lui assurent notre entier support pour retrouver son fils.

Dans la ville, le peu de ferveur qu’il y avait est retombée avec les récents évènements. La rumeur populaire murmure que le général aurait cassé le bras d’un de ses soldats.

Le groupe part donc à la recherche du fils perdu mais aussi de Tonbo-san. Ils vont donc à l’auberge dans laquelle Iuchi-san et Daidoji-san l’ont rencontré la première fois. La bushi Licorne précédemment aperçue, a l’air sur le départ. Kakita-san l’interroge sur son départ précipité avant la fin des festivités. Elle lui explique que « Lorsque le Lion rugit, c’est qu’il va attaquer. Je ne souhaite pas être là quand ça arrivera. »

Yasuki Genji est là aussi et Iuchi-san ne manque pas l’occasion de l’aborder. Elle apprend de sa bouche que des ragots affirment que l’enfant aurait été enlevé par le Shikken, après que le daimyo ait été offensé dans le temple. D’autres disent que c’est le démon du temple qui aurait enlevé l’enfant. Il paraîtrait même que que le général aurait tué deux heimin qui se seraient opposé à ce que ses gardes pénètrent dans leur fumerie d’opium. De la bouche de l’aubergiste, Daidoji-san apprend que Tonbo Hiroe n’a pas dormi à l’auberge, qu’elle venait seulement très tôt le matin.

Le groupe reprend les recherches. Daidoji-san entend des pleurs et le son provient… d’un puits. Après avoir récupéré le matériel nécessaire, Daidoji-san descend accrochée à une corde dans le puits. L’enfant est là, sanglotant. Ses vêtements accrochés à une racine laissent entendre qu’il n’est pas tombé là par hasard mais qu’on l’a amené ici. En dénouant le tissu, une poudre blanche reste sur les doigts de la samurai-ko. Un dernier détail capte l’attention de Daidoji-san, l’eau qu’elle devine au fond du puits n’est pas une calme réserve, c’est l’eau vive d’une rivière qui coule en direction de la garnison.

Pendant cette manœuvre, Kakita-sama prend le soin d’appeler la garde pour que d’autres constatent le sauvetage de l’enfant. C’est finement joué au regard de l’équilibre précaire dans lequel la délégation impériale se trouve.

C’est au tour du général d’arriver sur la scène, une fois l’enfant sorti du puits. Selon Iuchi-san et Kakita-sama, ce dernier a remarqué bien trop vite la poudre blanche sur les vêtements, comme s’il savait exactement où regarder. Il repart furieux et sans un mot avec l’enfant sous le bras. Quant à savoir si cet Akodo-sama était le vrai…

La texture et l’odeur du talc permettent de l’identifier. Il est obtenu à partir du pollen d’une fleur typique de la côte de Rokugan. Il est commun dans de nombreux dojos du clan de la Grue pour assécher les mains avant le combat. Kakita-sama serre les dents et murmure « Les mâchoires du piège se referment. »

Face à cette situation, décision est prise que Kazehiko se réfugie au Temple des Sept Fortunes, seul, pour ne pas attirer l’attention.

Il n’y a pas longtemps à attendre pour qu’un gunzo se présente à Kakita-sama avec une invitation d’Akodo-sama. Kakita-sama insiste sans équivoque pour que les soldats le suivent comme une escorte. On ne saurait mettre un émissaire de l’empereur aux arrêts.

Une fois entré dans la garnison, le groupe trouve le général Akodo Ikare assis sur un tabouret dans une grande salle sûrement réservée aux conseils de guerre. Visiblement sur le pied de guerre, il a revêtu son armure et porte son daisho au côté. Sa mâchoire tremble de crispation et ses yeux sont des volcans.

Il regarde Kakita-sama droit dans les yeux :
« Shikken-san » délaissant le -sama, « Je tenais à vous remercier pour le sauvetage de mon fils. Vous comprendrez qu’avec les éléments en ma possession vient le temps des questions. Accompagnez-moi. »

Au ton de sa voix, ce ne sont pas vraiment des remerciements. C’est plutôt un ordre qu’il n’est pas question de discuter.

Iuchi-san remarque qu’il porte un étrange et discret tatouage sur la nuque, un fin segment vertical.

Une fois les poneys scellés, la troupe constituée du général, de trente de ses hommes mais aussi du Shikken, d’Iuchi-san et de Daidoji-san prend la direction de la porte sud. Chemin faisant, la troupe croise un moine qui marche en direction de la ville, son chapeau de bambou tressé vissé sur la tête. Iuchi-san s’arrête, échange quelques mots avec moi et me fait monter en croupe de son cheval.

Et oui, j’ai fini par trouver une issue ! J’ai émergé à l’air libre dans une grotte à deux kilomètres de la ville.

Pendant la cavalcade, Daidoji-san remarque à son tour l’étrange tatouage sur la nuque d’un des samurai de la garde rapprochée du pseudo général. Le rôle principal n’est donc pas venu seul et il est accompagné de quelques rôles secondaires.

Le temple de Yaruki Jukko est de petite taille et d’aspect classique. Une fois franchi un premier tori en bois laqué rouge, nos poneys montent une pente sur vingt mètres avant de pénétrer dans l’enceinte. Trois corps de bâtiments sur pilotis en charpente traditionnelle ceignent la cour qui accueille une grande statue de Shinsei.

Un garde crie des invectives. Les moines sortent peu à peu du dortoir, surpris et inquiets. Ils devaient se préparer pour la veillée. Noshin n’est pas là. Kakita-sama s’avance pour saluer ceux de la Grue. Je m’agenouille pour adresser une prière à Shinsei. J’ôte le haut de mon kimono, révélant mes tatouages sacrés à l’air libre.

La mascarade se poursuit. Le général demande à la cantonade pourquoi ils ont enlevé son fils. Il insiste devant leur incompréhension. Puis il égrène ses accusations comme un mantra maintes fois répété :

« La poudre blanche vient des terres de la Grue. Ils ont enlevé mon fils. Et ce sont les moines qui ont amené les colombes. Justice doit être rendue… »

« … par le daimyo. » l’interrompt avec insolence Yuki-san.

Et elle se moque de la mine courroucée du faux général en enchérissant :
« Une personne avec la même armure que vous a déambulé en ville aujourd’hui. Etes-vous celui que vous prétendez être ? ».

Sans plus de palabres, le général se retourne vers ses hommes :
« Fadaises. Exécutez les moines. »

Daidoji-san, Kakita-sama et moi-même nous interposons.

Kakita-sam défie le général en duel, qui accepte. Ils se jaugent du regard et concentrent leur chi.

Daidoji-san décapite un premier adversaire qui a eu l’audace de s’approche d’elle. Elle a les gestes sûrs et économes d’un vétéran du champ de bataille. Son adversaire suivant profite de l’ouverture créée par la mort de son camarade pour asséner un coup aux jambes de la garde du corps. Il le paye instantanément de sa vie puisque sa tête roule à plusieurs mètres après la réplique rageuse de l’épéiste Daidoji. Son troisième adversaire détale devant la mort brutale de deux de ses compagnons en une poignée de secondes. Son quatrième adversaire est un peu plus coriace, même s’il ne fait pas le poids. Elle reçoit plusieurs estafilades et halète sous l’effort. Aussi forte soit-elle, elle ne pourra pas vaincre trente hommes à elle toute seule.

Mais elle n’est pas toute seule.

Iuchi-san psalmodie une prière aux kamis de l’air en brandissant son parchemin. Les nuages se condensent au-dessus du temple. La foudre s’abat sur un des bushi du clan du Lion, qui meurt instantanément.

J’essaye de ne pas penser à l’odeur de cochon grillé pendant que je projette un de mes adversaires en enchaînant des mouvements simples : la grue blanche déploie ses ailes suivi de l’ours embrasse la lune. Mais les adversaires sont nombreux et je reçois plusieurs coupures.

Du coin de l’œil je vois des moines Scorpion qui courent en direction des Lion, qui étonnamment les laissent quitter le temple. D’autres, Grue, tentent de s’enfuir mais sont assassinés par les bushi du Lion.

Mon jeune maître prend l’ascendant dans son duel. Mais le premier coup ne suffit pas à abattre son adversaire. Voilà qui est fâcheux. C’est ce que doit penser aussi Kakita-sama dont l’orgueil est sûrement froissé. Son deuxième coup est magistral. La tête de feu le comédien général se détache de son cou et glisse au sol dans un bruit macabre. Je ne peux m’empêcher de jauger le duelliste. Si j’admire sa maîtrise des techniques d’école, il reste encore du chemin à parcourir à Sheru-kun sur la voie du sabre. L’exécution est impeccable. Mais l’intention n’y est pas. Je pense à Genkaku : il serait fier de son fils en son for intérieur, mais il lui reprocherait tout ce qui manque pour atteindre la perfection.

A la mort du chef, c’est la débâcle. Les guerriers ennemis s’enfuient.

Les pertes sont lourdes parmi les moines : quatre d’entre eux sont morts, dont deux Grue. Cinq se sont enfuis, dont un Grue.

Nous observons les dépouilles adversaires à bout de bâton : deux soldats morts portaient le tatouage sur la nuque. Deux moines de Yaruki Jukko portaient eux-aussi cette marque.
Avant de me pencher plus avant sur l’observation de ces tatouages, je médite un instant pour réveiller le feu de mon esprit et souffler sur les braises de la connaissance.

Ces tatouages ont beau être simples et minimalistes, ils ont été réalisés par un maître de cet art. C’est même un travail d’artiste : la rectitude du trait, son épaisseur absolument parfaite, la profondeur de l’encrage. Le tatouage a été réalisé il y a plusieurs années et pourtant sa couleur n’est absolument pas altérée. Une encre avec ce noir qui tend sur le bleu de minuit est très rare. On la trouve dans une variété de poisson-chat qu’on ne trouve qu’au sud de la passe de Baiden. En plein territoire Scorpion.

Avant de mettre le trophée morbide dans un sac, je remarque des traces de maquillage et de teinture sur la tête du comédien général.

Après les suspicions, nous voilà désormais munis de preuves.

Quand nous interrogeons les moines pour savoir où est Noshin, ils nous répondent que ce dernier n’est jamais rentré avec eux. Il a fait demi-tour en direction de Kenson Gakka après s’être expliqué avec certains d’entre eux.

Nous prenons le temps de vérifier les nuques des moines encore en vie, afin de ne pas laisser de vipères dans le berceau.

Puis nous remontons sur nos montures, meurtris et éreintés par le combat. L’heure n’est pas encore au repos. Le temps joue contre nous et il nous faut retourner au plus vite en ville. Pour sauver ce qui peut encore l’être ?

つ づ く
View
Le Cœur d'un Lion
Prologue 1.2, an 35 et an 1120

Le Cœur d'un Lion

Les nuages traversèrent d’un bout à l’autre l’immensité céleste d’un bleu profond, comme s’ils cherchaient à rattraper le vent. Des milliers de clameurs résonnèrent, fusionnant en un unique cri de guerre. Les armées arborant des bannières aux couleurs vives se hérissèrent de sabres dressés par milliers vers le ciel et défiant les ténèbres de s’opposer à l’affrontement qui se préparait.

C’est ici que tout commence, C’est aussi le milieu et la fin car toutes ces choses forment un cercle. On ne tire les leçons qu’en observant l’évolution de ses enfants.

Un guerrier, les yeux brillants, se tourna vers une Dame. " Aujourd’hui sera un jour glorieux, Matsu. " Mille fois, elle avait entendu ces mots et mille fois, elle y avait répondu par un cri de guerre fier et tempétueux. Akodo balaya du regard son armée, observant l’avancée de ses soldats qui faisaient trembler la terre. Les plumes de son casque flottaient au vent tandis qu’il maintenait d’une poigne ferme les rênes de son cheval. À ses côtés attendait une femme aux yeux aussi noirs que la mort, dont les lèvres s’étiraient en un sourire d’expectative.

Akodo Arasou et Matsu Tsuko se tenaient sur le flanc d’une colline, face au soleil qui émergeait devant eux. Ses yeux croisèrent ceux de Tsuko au moment où il desserra la lanière de son casque, " La bataille sera glorieuse " fit-il tout en positionnant son katana dans son obi Cette perspective suffisait à illuminer son regard, le moindre de ses mouvements laissant transparaître une assurance emplie de fierté. Tsuko lui adressa un rictus féroce comme unique réponse, avant de se tourner vers les forces du Clan du Lion rassemblées dans la plaine en contrebas. Le soleil pointait à l’horizon, dardant de ses rayons le château et l’armée rassemblée. Toshi Ranbo wo Shien Shite Reigisaho – le château du Clan du Lion -, pris par le Clan de la Grue à force de diplomatie. Par sa lâcheté.

" Il est temps de reprendre le château de nos ancêtres. " La voix de Arasou était claire et les hommes lui firent une ovation, leurs armes reflétant la couleur cramoisie du soleil levant. " Qui combattra à mes côtés ? "
Les hommes lui répondirent par un ai de bataille tonitruant lancé par la samurai-Io qui se tenait à sa droite. Avant que le soleil ne fût détaché de l’horizon, ta bataille était engagée.

" À droite ! hurla Akodo du haut de son cheval, chargeant aux côtés de ses légions. Ils attaquent par le flanc droit ! Chargez ! "

Les hommes s’exécutèrent, leurs sabres taillant des chemins sanglants dans les rangs adverses. Les aberrations, comme le frère de Akodo aimait à les appeler, vociférèrent leur haine avant de se faire piétiner. Akodo regarda vers le sud et vit les vaillants disciples de Matsu faire face aux monstrueux oni, les mains dégoulinantes de sang et de poison. Matsu, qui les dépassait d’une tête, tenait un énorme sabre à la main_ Elle chargea l’oni le plus grand en rugissant sa haine. Elle le contourna par la droite, pour parer ses griffes, acheva le mouvement de son sabre et le planta dans les jambes du monstre. Des étincelles jaillirent lorsque que le no-dachi traversa les plaques métalliques qui protégeaient la créature, laquelle brailla sous la douleur et la hargne.

Matsu.

Akodo sourit. Quelle fantastique épouse elle aurait fait ! Sa maîtrise du sabre était inégalée, et n’importe quel homme sous ses ordres aurait sacrifié sa vie sans hésiter. Elle incarnait les valeurs de son clan, une véritable Dame Lion. Soudain, des ogres débouchèrent d’une saillie rocheuse et déferlèrent sur Akodo et ses hommes en poussant des hurlements.

" Tsuko ! " cria Arasou. Les nuages de poussière soulevés par les chevaux lancés au galop le firent toussoter et il perdit de vue la samurai-ko. " Tsuko ! ".

Tout près de lui, une unité de lanciers de la famille Daidoji chargeait ses hommes ; il n’y avait pas de temps perdre. Arasou se jeta dans la mêlée, le katana de son père luisant d’une lumière ternie par la pousstere ambiante. La bataille s’engageait mai. Chaque fois que les troupes du Clan du Lion tentaient un assaut contre le château, les samurai du Clan de la Grue les contraient en déversant sur eux de la poix brûlante ou de l’huile enflammée. Alors qu’il séparait la tête du corps d’un adversaire, Arasou vit périr un autre samurai de la famille Akodo. La haine se propagea dans tout son corps et ses coups se firent encore plus enragés.

Arasou fondit sur les combattants de la famille Daidoji. Il empala l’un d’eux sur le yari de son compagnon puis se figea un instant, avant de trancher les mains d’un autre adversaire. Aucune pitié, songea Arasou. Aucune pitié pour ceux qui se mettront en travers de mon chemin.

A sa droite, une légion de la famille Matsu rebroussait chemin sous la nouvelle nuée de flèches qui s’abattaient sur elle. Tsuko et ses soldats se regroupèrent avant de plonger sous la marée de lances des samurai de la famille Daidoji. Dans ses yeux brûlait le feu du combat, d’une ardeur qui rivalisait avec celle des flammes qui dévoraient la poix déversée par ses ennemis. " Matsu ! " cria-t-elle. Elle brandit son sabre, et son cri fut repris en chœur par des centaines de guerriers. Les samurai de la famille Matsu, dont les armures étaient couvertes de sang, se rassemblaient pour repartir au combat. Ils marchèrent sur les corps sans vie de leurs frères et suivirent Tsuko, qui les conduisait droit vers la masse compacte de guerriers du Clan de la Grue.

Arasou pointa son katana. " Là ! fit-il en criant pour se faire entendre malgré le grésillement des flammes. Voilà notre brèche ! " Derrière lui, des samurai s’engouffrèrent dans la trouée percée par les samurai de la famille Matsu, ignorant les hurlements des blessés et les morsures cinglantes des lances.

Akodo sourit en essuyant son katana couvert de sang d’ogre. Trois braves samurai étaient tombés vaillamment, mais ils avaient vu périr la horde démoniaque. Akodo regarda autour de lui. La pluie s’était mise à tomber, résonnant contre son casque. Son poney était mort sous lui, en pleine course. Il se tenait à présent au milieu d’un monceau de cadavres.

" Gloire à l’Empereur ! " cria-t-il, avant de courir vers le cœur de la bataille, qui tournait visiblement mal. Akodo pouvait apercevoir une nuée de visages difformes, tournoyant sur le champ de bataille tel un orage dévastateur et fauchant les samurai sur son passage. Autour de l’Empereur, les hommes de la famille Kakita se resserraient comme un nœud coulant, leurs sabres dégoulinant de sang.

Matsu se retrouvait seule, sa garde d’honneur annihilée. Son armure, partiellement déchiquetée, s’accordait avec son visage qui n’était plus qu’un masque grimaçant de fureur. Akodo se précipita vers elle, se frayant un chemin par de larges moulinets de son sabre.

Surgi de nulle part, un oni se jeta sur lui. D’une flexion du torse, Akodo esquiva les griffes acérées, se retrouva à terre et tenta de planter son sabre dans la poitrine du monstre. Le mouvement fut vif et le coup traversa légèrement la chitine. Du sang noir jaillit et aspergea le visage de Akodo, qui fut aussitôt aveuglé, sous les rires stridents de l’oni. Ne distinguant plus que des ombres, Akodo s’employa à parer les mouvements qu’il percevait, tout en martelant le sol afin de reculer. Il essuya le liquide âcre qui recouvrait ses yeux, en attendant de pouvoir reprendre l’avantage.

Il entendit un grognement, puis un cri, et se fendit en pointant son arme en direction de l’ombre massive qui lui faisait face. Sa lame s’enfonça profondément dans la chair et les tendons et fut stoppée par un os avant de lui être arrachée de la main. Il attendit un instant, mais ne perçut pas la moindre réaction.

Akodo s’efforça de voir à travers le rideau opaque de douleur et de sang qui se formait devant ses yeux. Il finit par apercevoir, penchée sur lui, une femme aux longs cheveux enchevêtrés. Elle plissa les yeux avant de lui tendre son sabre.

" Matsu ! " cria Akodo en constatant que le démon gisait à terre, décapité. Elle lui tendit la main pour l’aider à se relever, avant de le conduire en lieu sûr. A plusieurs reprises, il perçut les cliquetis de la bataille, mais ses yeux ne pouvaient rien distinguer. Des hommes se ruèrent bruyamment à l’assaut et il entendit Matsu leur hurler des ordres en son nom.

Finalement, à l’abri dans le campement personnel de l’Empereur, un soigneur vint s’occuper des blessures d’Akodo. " Votre oeil droit y verra de nouveau, mon Seigneur, mais le gauche… " la voix de l’homme s’évanouit dans un murmure d’inquiétude.

" Cela ira, chuchota Akodo. Je n’ai nul besoin de mes deux yeux pour trouver mon ennemi. " Il marqua une pause. " Matsu ? "

" Je suis là. " Sa voix n’exprimait aucune soumission, aucune déférence. Seule une légère pointe de respect rappelait sa position de vassale.

" Je devrais être à tes côtés, fit-il d’une voix rude, empreinte de colère et de désespoir. Mais ce me sera impossible aujourd’hui. A toi de diriger les armées. " Après un long moment, il ajouta : " Tu avais raison. "

" Nous ne combattrons jamais côte à côte, mon Seigneur. Quelles que soient les forces que vous commandez, murmura Matsu. Tel n’est pas notre destin. " Il entendit son petit rire, puis le rideau en soie de l’entrée de la tente frémit et il se retrouva plongé dans le silence. Un silence troublé par les cris lointains du champ de bataille.

Les lanciers de la famille Daidoji furent repoussés, tombèrent dans les douves du château et devinrent des cibles faciles pour les archers du Clan du Lion. Sans perdre un instant, Tsuko et Arasou se précipitèrent jusqu’aux grilles.

Dos à dos, les samurai des familles Akodo et Matsu combattaient, leurs katana tranchant sans relâche dans les chairs et les os. Ils étaient accompagnés par une centaine de soldats, qui s’engouffrèrent dans le goulet d’étranglement de Toshi Ranbo wo Shien Shite Reigisaho.

" La gloire nous accompagne ! lança Arasou à sa promise, tout en brandissant bien haut son katana. Ce jour restera gravé dans les mémoires ! "

Un cri de guerre s’échappa des lèvres de Tsuko, dont les coups de sabre rivalisaient de férocité avec ceux d’Arasou. Ensemble, Matsu et Akodo combattaient avec une efficacité redoutable. Un trio de samurai de la famille Daidoji surgit de derrière une palissade, leurs katana reflétant furtivement la lumière environnante. Tsuko, poussant un cri féroce, se précipita sur eux. Trompant leur garde, elle parvient à en couper un en deux avant qu’ils aient eu le temps de réagir. Les deux autres samurai pointèrent leurs armes sur elle et arborèrent un sourire circonspect tout en s’approchant.

Jaillissant dans son dos, Arasou se jeta en avant, sans prêter attention à la position figée de Tsuko. Il se rua sauvagement sur les hommes du Clan de la Grue, le sabre miroitant de sang. Ses adversaires étaient vifs, mais il fut le plus rapide. L’un d’eux tenta de le frapper aux jambes, mais il para le coup. Arasou bondit alors en avant, faisant plier son sabre lorsque ce dernier traversa le corps d’un ennemi.

Les samurai du Clan de la Grue se repliaient, poursuivis par Arasou qui les injuriait et les traitait de traîtres, de lâches, de chiens… Il faucha l’air tandis qu’ils battaient en retraite, frappant là où se tenait un adversaire quelques secondes auparavant. Finalement, les samurai de la famille Daidoji cessèrent de reculer, et Arasou se retrouva attiré à l’intérieur, de l’autre côté des grilles, en plein coeur des forces ennemies. Arasou se fendit vigoureusement et l’un d’entre eux tomba en hurlant, le torse transpercé. Un autre adversaire toucha le bras d’Arasou, lui occasionnant une profonde entaille avant de subir la riposte du samurai du Clan du Lion, qui lui trancha la tête.

Trois autres samurai ennemis périrent avant d’avoir pu l’approcher, leurs katana brisés résonnant sur le sol dallé. Arasou haletait, le souffle court, exhalant une furie dévastatrice. Chacun des coups de son katana ôtait la vie d’un de ses adversaires. " Tsuko ! hurla-t-il, Tsuko ! "

Mais les autres samurai du Clan du Lion périssaient autour de lui, leur charge anéantie par l’embuscade tendue par les membres de la famille Daidoji. Du sang coula dans les douves, tandis que de nouveaux samurai du Clan de la Grue continuaient d’affluer. " Tsuko ! " La douleur lui coupait le souffle et lui brouillait la vue. Arasou chancela, maniant son sabre comme une faux, le bras tremblant.

Il baissa les yeux sur sa poitrine et vit des os saillants lui adresser un dernier message.

" Tsu…ko… " Ses lèvres remuèrent, mais aucun son n’en sortit. Quand le soleil disparut à l’horizon, quand la terre fut plongée dans les ténèbres, Arasou était toujours habité par la rage.

Notre destin n’est pas de combattre côte à côte, mon Seigneur. Ces mots résonnaient dans l’esprit de Akodo. Il observa la moine s’approcher. L’étrange petit homme guiderait Matsu dans les ténèbres. Akodo baissa péniblement la tête, et ses doigts caressèrent le pansement qui recouvraient son orbite.

" Il est temps de partir, mon ami, chuchota le moine. Te rappelleras-tu tout ce que je t’ai enseigné ? "

Akodo hocha sa tête endolorie, sa main retombant sur le côté. " Hai Sinsei-sama. Je me souviendrai de tout. Je vous donne ma parole. "

La scène se figea un instant. " Souhaites-tu lui parler avant que nous partions ? " Le moine regarda la haute silhouette qui se dressait sur le flanc de la colline, ses longs cheveux noirs flottant, telle une bannière dans la brise glacée de l’hiver.

Akodo jeta un dernier coup d’œil dans sa direction puis détourna le regard. " Non. Elle connaît mon cœur. Les mots sont vains. "

Tandis que le petit homme s’éloignait, ses mots résonnèrent dans la tête de Akodo. " Il n’est nul chemin si étroit qu’il ne puisse être emprunté que par un homme seul. Pense à tes frères et range-toi à leurs côtés. Dans leurs forces, tu puiseras la tienne. "

" Matsu… " murmura-t-il, mais ils étaient déjà partis.

Tsuko s’agenouilla devant le trône du daimyo de la famille Akodo, la gorge nouée par le serment de fidélité qu’elle devait prêter. Le frère de Arasou s’affala sur le trône comme si ses épaules étaient lestées d’une lourde charge en fer. Il n’avait aucune grâce, aucun don pour l’art du sabre, et sa fougue faisait pâle figure à côté de celle d’Arasou. En fait, ce dignitaire de la famille Akodo ressemblait plus à un diplomate qu’à un guerrier, et ses yeux étaient ceux d’un érudit.

C’était un imbécile.

La gloire dont Arasou avait auréolé la famille Akodo était morte avec lui. Les yeux de Tsuko s’embrasèrent lorsqu’elle murmura les anciennes paroles qui la liaient, elle et sa famille, au nouveau champion.

Un lien à vie avec ce lapin docile. Arasou, mon brave Arasou…. Il vaut mieux que tu sois mort, pour ne jamais voir ce que nous sommes devenus.

Quand elle se releva avant de s’incliner formellement, le nouveau champion l’appela : " Matsu Tsuko-san. "

Lorsqu’elle leva les yeux vers lui, le voile d’allégeance et de discipline qu’elle s’imposait ne put dissimuler la haine diaphane qui habitait son regard. L’homme assis sur le trône marqua une pause.

" Vous avez enduré une grande perte. Comme nous tous. " Ses yeux croisèrent ceux de Tsuko. " J’espère que nous parviendrons tous les deux à nous comprendre. Le Clan du Lion doit se battre comme un seul homme. "

Tsuko le toisa impétueusement, ne voyant, sur le trône de son Seigneur, que le visage d’un usurpateur. " Non, mon Seigneur. " souffla-t-elle d’un ton à peine respectueux. " Nous ne combattrons jamais côte à côte. Quelles que soient les forces que vous commandez. "

Elle s’inclina à nouveau, puis se retourna pour quitter la salle.

" Tsuko… " lui lança-t-il, la voix empreinte d’amertume.

Elle se retourna, ses yeux noirs de jais aussi perçants que des flèches. " Vous ne serez jamais Arasou. "

" Non, répondit le nouveau Champion du Clan du Lion, d’une voix vibrante soudainement forte. Je serai Toturi, et tu obéiras à mes ordres. C’est tout ce que tu dois savoir. "

Tsuko plissa les yeux et retroussa les lèvres dans un rictus animal. Puis, dans un grand effort de volonté, elle s’inclina sèchement. Derrière elle, la porte se referma dans un soupir feutré.

Assis sur le trône poli de ses ancêtres, le nouveau Champion de la maison Akodo ferma ses yeux fatigués.

Récit en introduction de la
deuxième partie du scénario " L’Ombre de la Guerre "
View
L'envol des faucons
Résumé 1.1, Année 1120, Tatsuya no Monogatari

L'envol des faucons

Contribution de Breloque
竜也の物語

Je suis Tatsuya.

Né dans la vallée du givre, nichée dans les pics rocheux du clan du Dragon, j’ai eu une vie de bushi bien remplie. J’ai jadis nourri l’espoir de couler mes derniers jours dans la douceur de mon logis. Je me rêvais assis sur le plancher usé de la terrasse, à déguster un savoureux saké en contemplant le jardin zen pour inspirer ma médiocre poésie. Le destin ne m’a pas laissé arpenter ce chemin, car je suis devenu Togashi, moine Ise-zumi en quête d’harmonie, déterminé à honorer ses serments.

N’ayez crainte honorable lecteur, car ce n’est pas cette histoire que je vais vous narrer aujourd’hui. Les caractères que je couche sur ce parchemin, à la lueur vacillante d’une chandelle, dessinent un récit qui a marqué la tumultueuse histoire de Rokugan au fer rouge. Des événements dont vous connaissez les échos et qui résonnent encore sur la falaise de vos vies. Je vais vous conter ce que mes sens ont capté et mon esprit a compris, mais n’oubliez jamais – honorable lecteur – que ce n’est que mon humble interprétation. Lorsque j’écris ces mots, je n’ai donc pas la prétention d’être un chroniqueur de la confrérie des héros, comme mon respectable et émérite frère Botan. Et pourtant, les kami savent à quel point les personnes dont je vais vous conter l’histoire ont pu prouver leur valeur et leur grandeur d’âme. Je souhaite uniquement planter quelques modestes graines de sagesse en priant pour qu’elles prennent racine.

Faites en bon usage, honorable lecteur.

Bien. Ceci-étant dit, par où commencer… Ah, oui, bien sûr. Le point d’origine. La pierre jetée dans l’étang. L’ombre de la guerre.

Savez-vous – honorable lecteur – ce que sont les Fragments du Vide ? C’est un héritage. Vous connaissez sûrement la légende de la conjuration de Kinkaku qui raconte comment Miyakoshi, un esprit-dragon du vide devenu fou, fut terrassé naguère par des héros. Cet exploit fut accompli au prix d’un rituel qui instilla en chacun des trois survivants une portion de l’essence mystique de feu la créature. Ce fragment du vide se transmet de génération en génération. Chaque héritier porteur d’un fragment de ces trois lignées possède une marque de naissance au poignet droit formant trois gouttes. Une malédiction selon certains… Certes, mais la vérité est plus complexe.

Nous sommes en l’an 1120, au dix-huitième jour du mois du Singe.

Kakita Sheru est l’un d’eux. Fragment du vide de la lignée du Brasier, membre de l’honorable clan de la Grue, c’est un bushi de la célèbre école de duel Kakita. Mais c’est avant tout un Shikken, un ambassadeur sous l’autorité de Miya Yoto, noble Héraut Impérial. Il porte aujourd’hui un kamishimo cérémoniel d’une riche étoffe bleue et blanche, arborant le mon de son clan. Son crâne est naturellement chauve et sa mine sévère est accentuée par d’épais sourcils. Je suis à son service en tant que conseiller depuis maintenant trois ans, en vertu d’un serment que j’ai fait autrefois à son honorable père.

Nous sommes en route pour le festival de la Tortue Humble à Kenson Gakka, sur les terres du clan du Lion, pour une commémoration historique. Il y a six siècles, se trouvait à cet emplacement un château nommé Shiro no Meiyo, qui appartenait au clan du Scorpion. Les armées du Scorpion ont tenté de conquérir Kyuden Ikoma, fief établi du Lion. En représailles, le Lion a bondi toutes griffes dehors sur Shiro no Meiyo et massacré tous les occupants, sans exception. Avant la fin de la journée, il n’y avait en ce lieu plus âme qui vive qui ne fut Lion. Le site fut renommé Kenson Gakka, « la leçon d’humilité ». Le Lion a ensuite imposé au clan du Scorpion d’y installer non loin un temple pour commémorer ces événements passés. Le temple de Yakuri Jukko, dédié aux mille fortunes, est bâti aux abords de ce qui est devenu une ville de moyenne importance dans cette nouvelle province acquise au prix du sang et de l’honneur.

Le contexte est particulièrement tendu pour la délégation de Kakita-sama, car il y a quelques mois de ça, le clan du Lion a attaqué avec ses armées Toshi Ranbo, la Cité des Apparences, fief d’importance sur les terres de la Grue. Ce sont ces derniers qui en sortir vainqueurs et le daimyo du clan du Lion y perdit la vie, ainsi que son héritier Akodo Arasou. C’est le fils cadet des Akodo qui hérita et qui guide désormais son clan, la main droite de l’Empereur. Mais c’est un lionceau inexpérimenté, à la plus grande satisfaction du clan de la Grue.

Cependant, c’est bien en tant que porteur de la paix de l’Empereur que Kakita-sama est aujourd’hui à la tête d’une délégation qui comprend sept moines du temple de Shiro Daidoji, tirant des charrettes à bras pleines de présents. L’Empereur apporte sa bénédiction aux deux temples réunis pour célébrer mille ans de paix… La formule est belle, mais la paix a toujours été relative et n’a jamais été aussi précaire.

L’histoire a démontré à plusieurs reprises que les fragments du vide ont tendance à se rapprocher les uns des autres. Kakita-sama ne fait pas exception. Sa suite est ainsi composée de Daidoji Yuki, fragment de la lignée des Secrets et éclaireur Daidoji. Elle officie aujourd’hui comme Yojimbo, garde du corps. Caractéristique de certains membres de sa famille, Yuki-san a les cheveux naturellement blancs comme sa vénérable aïeule, malgré sa jeunesse. Et dire qu’elle était présente à cette terrible bataille de Toshi Ranbo… Cela explique sans doute pourquoi elle est particulièrement sur ses gardes depuis que nous avons pénétré le territoire Lion.

Tout juste sorti du dojo, Isawa Kazehiko, fragment de la lignée des Savoirs, a récemment rejoint le service de Kakita-sama. Adepte du vide ishiken-do du clan du Phénix, il a remplacé en tant que conseiller Isawa Tenku parti en retraite il y a de ça quelques semaines. Contrairement à d’autres prêtres de sa caste, ce n’est pas un érudit maigrelet aux yeux usés par la calligraphie. Non, il semble vigoureux, vaillant et volontaire. Il porte un wakizashi, une lame courte, ainsi qu’un kusarigama, un crochet à chaîne. Une arme qui demande un entraînement spécifique pour être correctement maîtrisée, je suis curieux de le voir à l’œuvre. Je ne le connais encore que peu mais j’ai pu constater son naturel curieux et passionné. Aaah, le printemps de la jeunesse ! Il arbore un imposant collier de prière fait de perles de jade, de chrysoprase et d’autres pierres semi-précieuses. J’y vois là des représentations des sept Fortunes, mais aussi d’Amaterasu et de Onnotangu. Peut-être est-ce là une relique.

Iushi Ayame, shugenja de la terre, est la fille d’un important diplomate du clan de la Licorne. Dans le cadre de l’aimable entente établie entre les clans de la Licorne et de la Grue, des pupilles sont échangés. Ayame-san en fait partie. Elle a rejoint le service de Kakita-sama depuis trois mois déjà. Je ne suis pas surpris de voir le dégoût qu’inspirent les fourrures qu’elle porte fièrement autour du cou à certains membres de la maisonnée de Kakita-sama. J’ai aussi remarqué les intrigants talismans qu’elle porte autour du cou, fabriqués de ses mains m’a-t-elle dit. Je suis curieux d’en savoir plus sur cet art étrange.

Le dernier membre de cette honorable suite n’est autre que l’humble moine que je suis. J’ai revêtu mes plus beaux atours, certes beaucoup plus modestes que ceux de mes compagnons. En effet, alors que nous avancions dans les derniers kilomètres nous séparant de notre destination, nous avons fait une halte pour revêtir nos tenues d’apparat, afin que notre mise soit digne face au Daimyo de Kenson Gakka.

Accompagnant les autres moines, mes geta et mon bâton claquent sur la pierre alors que mes compagnons cheminent à cheval. Je porte un hakama gris et un samue bistre. Les tatouages qui couvrent mon corps émergent au niveau de mon cou, dévoilant une mante de profil posée sur une branche. Seule fantaisie, une petite boîte à compartiments en bois laqué pend à ma ceinture par une cordelette retenue par une pierre noire sculptée en forme de dragon. Contrairement à Kakita-sama et Isawa-san, mon crâne n’est pas impeccablement lisse et demeurent en périphérie quelques épars vestiges, un duvet blanchi par les ans et le soleil. Ah, je sais bien que la chose agace Kakita-sama mais quelques années de plus devraient suffire à oblitérer ces derniers renégats capillaires. Pour l’heure, mon crâne est abrité sous mon sandokasa, chapeau de bambou tressé à larges bords usé par la pluie.

Un croisement. Les moines de Shiro Daidoji nous quittent pour rallier le temple de Yakuri Jukko. Nous les reverrons demain, pour la commémoration. Kakita-sama pour sa part est attendu au palais dès ce soir.

C’est lorsque le crépuscule joue ses dernières notes mordorées que la délégation arrive à Kenson Gakka, ville fortifiée à flanc de colline. Une effervescence anime les habitants en ce début de soirée, alors que des braseros sont installés au bord des voies et des lampions allumés çà et là sur les terrasses des maisons.

Le château à trois étages est majestueux avec ses murs en pierre blanchis par un enduit qui contraste avec les tuiles en ardoise. Le groupe est accueilli dans l’enceinte par un samurai vétéran, le hatamoto, le chef des suivants de la maisonnée. Le lieu est animé avec de nombreux visiteurs en cette veille de festival, mais le hatamoto fait place nette pour guider notre groupe jusqu’à la salle de réception. Il déclame les présentations :

« Kakita-sama, voix de l’Empereur, Messager de paix. »
« Matsu-dono, Dépositaire de la paix de Kenson Gakka »

Nous voilà donc face au daimyo Matsu Kioma. Il semble ravi de la situation et de la présence de l’émissaire impérial. Deux autres personnes sont à ses côtés. A sa gauche son épouse, et à sa droite son général. Ce dernier a l’air quelque peu distrait et guère intéressé par l’apparat des courtisans. Tout le contraire de l’épouse du daimyo, prévenante à l’égard de ses invités.

Isawa Kazehiko apporte le cadeau destiné au daimyo dans une boîte sobrement estampillée du chrysanthème impérial. Je sais que c’est un magnifique tessen, un éventail de commandement ajouré de symboles harmonieux dans un bois précieux et laqué par un artisan de renom. Un présent de qualité, autant par sa facture que par son symbole.

Ce que l’on sème
Sous les griffes du félin,
Un chrysanthème.

Après les politesses d’usage, Matsu-dono accepte le présent qu’un serviteur vient enlever. Une pièce du palais à l’étage est aménagée à notre égard. On nous apporte un généreux repas aux multiples plats, confirmant l’accueil tout à fait courtois du daimyo. La fenêtre ouverte dévoile les lumières de la ville comme des lucioles qui s’égayent dans la nuit.

Isawa-san s’est assis en position du lotus au milieu de la pièce, la brise du soir lui caressant le visage. Il interroge les kamis de l’air et seul lui sait ce qu’ils lui ont chuchoté à l’oreille. Je n’ai pas osé le déranger dans sa transe pour savoir ce qu’il faisait.

Pendant ce temps, Iuchi-san va à la rencontre d’autres visiteurs présents dans le palais. A commencer par Yasuki Genji, un commerçant du clan du Crabe à la langue agile. Elle apprend de sa bouche le nom du général rencontré précédemment : Akodo Ikare.

Pour ma part, j’engage la conversation avec quelques serviteurs, sans apprendre grand-chose d’utile. Je m’isole ensuite dans le jardin du château afin de réaliser ma routine de fin de journée. J’effectue le kata de la 13ème forme, en prenant le soin de l’exécuter le plus lentement possible. Pendant ma méditation, j’aperçois un homme portant le symbole du Renard qui m’observe un temps avant de rebrousser chemin. J’achève mon rituel du soir par une tasse de genmaicha et une prière aux kamis. Les feuilles de thé dessinent un avenir : un lion couché sur le flanc, un pied le bloquant au sol… Une leçon d’humilité ? Beaucoup plus inquiétant, le fond de ma tasse demeure dans les ténèbres. Mon sang se glace. Funeste augure de l’outremonde.

Dès l’heure du tigre, tôt le matin avant que le soleil ne se lève, la délégation se prépare. Kakita-sama en profite pour nous rappeler les enjeux de cette journée. Je le sens tendu, mais concentré. Dehors, d’autres sont déjà levés et répètent pour la parade qui aura lieu plus tard dans la matinée.

Yuki-san s’habille comme un serviteur. Elle accompagne Iuchi-san à une auberge de la ville pour prendre un petit-déjeuner et discuter avec les voyageurs. Dans la pièce, deux personnes attirent leur attention. Un bushi du clan de la Licorne, une femme avec le mon des Otaku, est en train de finir son repas. Une courtisane du clan de la Libellule, assez légèrement vêtue, manifestement habituée à des lieux plus fastueux, se trouve aussi là. Daidoji Yuki reconnaît instantanément en elle un fragment du vide. Elles engagent la conversation avec cette dernière et en apprennent plus sur le déroulement du festival. Tonbo-san recommande notamment le moment où seront libérés les faucons, un des temps fort de la journée. Un détail s’impose soudainement à Yuki-san : cette courtisane Tonbo ne possède pas la marque caractéristique des fragments à son poignet. Comment est-ce possible ?

Je me rends pour ma part au temple des sept Fortunes et prie chacune d’entre elle. Le mauvais augure de la veille en tête, ma dernière prière est pour Togashi, le kami tutélaire de mon clan. Si seulement il pouvait partager avec moi un peu de sa légendaire clairvoyance.

Pendant ce temps-là, Isawa-san réalise avec diligence une cérémonie du thé pour Kakita-sama dans leur chambre au palais. Cela permet à Kakita-sama de se concentrer sur la tâche à venir. Il a à cœur d’honorer son rôle de représentant du souverain céleste en ce jour.

Un peu plus tard, Kakita-sama et les siens se réunissent à l’heure du Lièvre à l’hôtel de ville… Enfin sauf moi, car j’ai eu le malheur de m’égarer en chemin depuis le temple. Ces villes sont décidément bien trop labyrinthiques. Le daimyo, beaucoup plus solennel que la veille, a réuni ici sa cour et ses invités. Les gens parlent bas et les murmures bruissent comme le vol des papillons. Le son de trois biwas égrène une douce musique. Un vieil Isawa a captivé un petit groupe et leur parle d’astrologie avec enthousiasme. Isawa Kazehiko vient rendre hommage à ce membre de sa famille. Il découvre mal à l’aise que le vieil homme est un peu sénile. La courtisane Libellule est de nouveau aperçue dans l’assemblée et Kazehiko-san tente de deviner sa lignée comme seuls peuvent le faire les fragments. Sans succès. Cette dernière vient présenter ses hommages à Kakita-sama. Elle se montre très séductrice avec les deux bushi et fait mine de ne pas être au fait de sa condition de fragment du vide. Ça, l’absence de marque à son poignet et la difficulté pour connaître sa lignée rend cette personne pour le moins… intrigante. Il me tarde d’en savoir plus.

Tandis que je peine à trouver mon chemin malgré les indications d’un aimable maraîcher, je vois les moines arriver par la porte sud de la ville (… à moins que ce ne fusse la porte nord ?). Je vais à leur rencontre pour me joindre à eux. A leur tête, un dénommé Noshin. Ses gestes sont fluides, et sa posture m’évoque celle d’un bushi du Scorpion. Rien d’inquiétant, il n’est pas rare que des bushi abandonnent la voie du sabre pour embrasser d’autres plus spirituelles. Je suis bien placé pour le savoir.

Le soleil commence enfin à darder ses premiers rayons quand l’armée du Lion défile en grande pompe sur la place principale de la ville sous l’œil attentif du Daimyo. Fermant la marche, six soldats portent dans leurs dos de grands sashimono cérémoniels, des bannières affichant le mon du Lion. Chacun de ces porte-étendards représente cent années de domination sur ces terres.

Matsu-dono prononce le début officiel des festivités. Et notamment celles des épreuves très attendues par le peuple : yabuzame (arc à cheval), inu-o-mono (chasse), sumai (lutte), oriru (combat à cheval), seikakusa (kenjutsu), et kenkyokame (stratégie).

Le général Akodo-sama assiste au tournoi de combat à cheval et Iuchi Ayame affronte une autre Licorne, puis un Lion et enfin un Scorpion pour accéder à la finale. Mais Iuchi-san est défaite par le cavalier du Lion particulièrement inspiré en ce jour de festivités. Elle chute à terre après une manœuvre audacieuse. Elle se relève avec grâce mais toujours douce comme la prairie et forte comme la montagne.

Le vainqueur se voit remettre un ruban rouge, accordé aux vainqueurs de tournoi. Un serviteur vient voir Ayame-san : le général souhaite la recevoir. Il est agréablement surpris par la compétence équestre de la jeune femme alors qu’elle ne porte pas le daisho. Sa prestation n’est pas passée inaperçue.

Yuki-san baguenaude de tournois en tournois pour identifier qui sont les vainqueurs : majoritairement des Lions, sauf en sumai où c’est un Crabe qui sort vainqueur ainsi qu’en seikakusa où c’est un Bayushi du clan du Scorpion qui triomphe.

Matsu-dono propose à Kakita-sama de participer à une reconstitution historique, qui esquive habilement l’invitation en proposant que son garde du corps personnel, Daidoji Yuki, le représente. C’est Matsu-dono en personne qui incarne le rôle du général Scorpion alors que le général Lion est incarné par Akodo Ikare. Yuki-san fait bonne figure en éliminant plusieurs adversaires, mais son général libère subitement ses flancs offrant la victoire au Lion. Yuki-san reçoit quelques ecchymoses mais s’en sort avec les honneurs. Elle est félicitée par Kakita-sama pour montrer la nature officielle de sa participation.

Les festivités se poursuivent. C’est au tour des moines de Yaruki Jukko de se présenter en procession face au daimyo pour la tant attendue cérémonie de libération des faucons. Noshin est monté sur l’estrade pour assister au spectacle aux côtés du daimyo, ainsi que les vainqueurs des différents tournois.

Lorsque les lanières de cuir se détachent, ce ne sont pas des faucons qui sortent des coffres, mais des centaines de blanches colombes, symbole de guerre et de mauvaises nouvelles qui s’éparpillent dans le ciel. Un murmure de surprise et d’indignation parcourt la foule.

Furieux, Matsu-dono se précipite sur le chef des moines qui se confond en excuses, front contre terre. Je remarque pendant ce temps que les moines qui tenaient les coffres jouent la comédie et feignent la surprise. Exaspéré, le daimyo chasse les moines d’un geste rageur. Je les suis.

Foule immobile.
S’envolent les faucons blancs ─
Lion courroucé.

Kakita Sheru calme la foule en expliquant à l’attention de tous son soulagement que de voir partir au loin ces oiseaux de mauvais augure qui n’ont pas pu rester sur les honorables terres du Lion et s’enfuient à tire d’aile. Le daimyo remercie très respectueusement Kakita Sheru pour son intervention à propos qui a pacifié une situation délicate.

Les moines sont vertement invités à quitter la ville par les bushi du Lion. J’interpelle Noshin pour lui dire tout de go que je suis persuadé que les moines qui ont ouvert les coffres étaient au courant de leur sinistre contenu.

A quelques encablures de là, dans une ruelle, je remarque du coin de l’œil une ombre fugace qui s’efface. Quelqu’un a écouté notre conversation…

つ づ く
Aphorisme incongru
Ethadan a dit : « C’est l’anneau le plus difficile à monter. »
View
La Chute de Shiro no Yojin
Prologue 1.1, an 960

La Chute de Shiro no Yojin

La situation était désespérée, et les Fortunes ne les sauveraient pas, elle le savait. Le vent apportait avec lui les rumeurs de la guerre hors des murs de Shiro no Yojin, mais aussi les fumées des tunnels de liaison désormais coupés par les forces du Lion. Ces tunnels leur avaient permis de tenir le siège pendant trois semaines, mais le Général Lion, Matsu Aigito, avait fini par les trouver et les avait enfumés. Désormais, les habitants de Shiro no Yojin étaient voués à la mort, et Kimeiko ne pouvait s’y résoudre. Sa vie propre ne lui importait guère, mais elle portait en son sein l’héritier de la Lignée des Secrets. Son bébé devait absolument survivre aux lames des Lions, à tout prix.

Connaissant l’importance de cet enfant à naître, le daimyo du château avait réuni autour d’elle quelques uns de ses meilleurs éléments :
- Kakita Tamaki, le duelliste le plus prestigieux de Shiro no Yojin,
- Daidoji Nobuo, son yojimbo personnel,
- et Doji Sadamori, sa conseillère attitrée.
Kimeiko était, par ailleurs, accompagnée de son mari, le shugenja Asahina Juro et d’un moine dela Confrérie de Shinsei du nom de Taizo. Si des personnes d’exception pouvaient permettre à son enfant de naître et de survivre aux griffes des Lions, c’était bien eux.

Au loin, les deux tours de gardes étaient déjà en feu. Les forces du Lion étaient bien supérieures en nombre, et avaient épuisé, au cours de ces trois semaines d’un siège mortel, les derniers combattants Daidoji. La fin de Shiro no Yojin était évidente, et déjà, les familles de la Grue se préparaient à une mort honorable dans les étages supérieurs du fortin.

Kakita Tamaki proposa une folle percée dans les rangs ennemis, pour permettre à Kimeiko de quitter le château. Mais cela demandait trois choses : un appui de la Grue, une confusion dans les rangs du Lion, et une diversion. C’est dame Doji Sadamori qui demanda le soutien des bushi Daidoji. Par sa voix empreinte d’émotions et son rang, elle tenta de convaincre le capitaine des derniers combattants de lancer une offensive suicidaire autour d’elle. Elle parvint à les convaincre et les combattants se préparèrent à leur dernier combat.

De son côté, Asahina Juro, Shugenja du Clan de la Grue, commença à invoquer les kami de l’Air du château, pour qu’ils forment une brume dense qui couvrirait leur sortie. Parchemin à la main, il adressa une prière implorant l’aide des kami.

Un brouillard épais envahit tout à coup la cour de Shiro no Yojin au moment où un bataillon de guerrière Matsu franchissait les portes du fortin.

C’est Daidoji Nobuo qui lança la charge contre les rangs Matsu. Il ordonna à ses frères, à ses cousins, à ses amis, de sacrifier leurs vies dans ce dernier combat.

Les derniers Daidoji se jetèrent dans la mêlée à corps perdu, espérant emporter le plus de Matsu possibles avant de rejoindre les Cieux. Se joignant à ses frères Daidoji, Nobuo tua trois guerrières du Lion avant qu’une lame Akodo ne vienne perforer son torse.

Dans la mêlée, Kakita Tamaki remarqua l’un des Chui ennemi. L’homme arborait fièrement un tessen, un éventail marqué du mon du Lion. Sans attendre, Tamaki s’élança pour provoquer le capitaine en duel. Celui-ci, d’un léger signe de tête, accepta le combat honorable. Alors que les autres combattants se massacraient joyeusement, les deux bretteurs se mirent en place, et s’évaluèrent.

D’un coup magnifique, le duel prit fin aussi vite qu’il avait commencé. La tête de son adversaire alla rouler dans les jambes de Dame Kimeiko, mais elle ne s’en aperçut pas. Dans le chaos de la charge des Daidoji, aidée par le brouillard invoqué par son mari, elle s’enfuyait loin de la colline de Shiro no Yojin… mais une flèche ennemie vint perforer son dos… et son poumon.

Elle s’affaissa, soutenue par le moine qui l’accompagnait. Sa vie s’enfuyait déjà, mais elle devait sauver la lignée des Secrets. Le moine Taizo la porta jusqu’à un bosquet éloigné… Il ne pourrait peut-être pas sauver la mère, mais il sauverait l’enfant.

L’enfant sortit, non sans peine, du ventre de sa mère agonisante. Cette dernière contempla le nouveau né dans les bras de Taizo. Le seul rescapé de la Lignée des Secrets. Dans son dernier souffle, elle gémit le nom de celui qui devrait le plus grand général des armées de la Grue quelques décennies plus tard : " Yurei ".

Récit en introduction du
scénario " L’Ombre de la Guerre "
View
Haïku de Togashi Tatsuya
Poésie, an 1120, de Togashi Tatsuya

b_haiku.png

Contribution de Breloque

Vous trouverez ici quelques haïku conçus par Togashi Tatsuya au cours de l’année 1120.

En mémoire de son enfance sur les terres hostiles du Clan du Dragon :

Un chemin ivre
Sous la voûte d’azur —
Fleurs de givre

En mémoire de son père, forgeron émérite, Mirumoto Shigeru :

De la rencontre
De la nacre et de l’acier,
Naît une étreinte

En mémoire de son apprentissage du Iaijutsu avec Kakita Genkaku :

Sur le tatami
Sonne le choc des bokken ─
Amitié scellée.

En mémoire de sa rencontre avec Agasha Natsuko, celle qui deviendra sa femme :

Regard trouble
Sa bouche forme un oh ─
Un corps tombe.

En mémoire de son duel mortel avec Kakita Genkaku :

La mort au fourreau
Deux âmes face à face ─
Une hirondelle trisse.

Lorsqu’il réalise qui il est :

Montagne écorchée
Le secret de mon âme ─
Soudain révélé

A l’occasion du festival de la Tortue humble :

Ce que l’on sème
Sous les griffes du félin,
Un chrysanthème.

Devant la faute manifeste des moines de Yaruki Jukko :

Foule immobile.
S’envolent les faucons blancs ─
Lion courroucé.
View