Les Fragments du Vide

L'Espoir Dérobé
竜也の物語

L’ambiance dans le dojo était lourde, les mines sévères. Car l’heure est au départ. L’escouade menée par Seppun Mazu-san escompte faire une percée pour exlfiltrer le groupe de courtisans et ministres sous sa responsabilité. Deux miharu resteront ici en faction pour accueillir d’éventuels fuyards survivants.

Quant à notre petit groupe, il doit aussi quitter ce havre temporaire qui nous a permis de recouvrir nos esprits et de nous fixer un but. Car Il n’y a pas de temps à perdre : nous devons retrouver l’héritier légitime du trône impérial pour le protéger et le mettre en lieu sûr. Un des miharu nous indique où se trouve l’appartement de Sotorii-dono, deux étages au-dessus. Il nous met en garde : le lieu grouille d’escouade Scorpion, qui le traque tout autant. Après un temps d’hésitation, le garde d’élite nous livre sa pensée : mieux vaut selon lui enquêter deux étages plus bas du côté de son dojo privé, un patio à ciel ouvert dans lequel il a pris l’habitude de s’entraîner.

Pour ce faire, nous empruntons le passage secret qui nous avait mené dans le dojo dans l’autre sens. Je vois dans la démarche volontaire de Yogo Sheru-sama que passé la stupeur de la mort de son épouse et de l’assassinat de l’Empereur, la détermination est de retour. Il existe encore une voie honorable. Il est paré pour le combat : son daisho au côté, une armure légère de bois laqué ainsi qu’un mempo noir qui masque le bas de son visage.

Rompue à l’exercice, c’est Yuki-san qui nous guide dans le dédale de bois et de poussière. Elle nous dit où mettre nos pieds pour éviter les sons indésirables. Alors que nous pénétrons dans une antichambre, la chaine du kusarigama de Kazehiko-kun tombe par terre. Le bruit attire une patrouille de quatre bushi Scorpion. Parmi eux, nous reconnaissons le jeune Norihide-san, le grand frère de la petite Rika, que nous avions libéré de la malédiction du fabricant de masque à Kyuden Bayushi l’année précédente. L’homme nous reconnaît, ce qui laisse un peu de temps à Yogo Sheru-sama pour engager la conversation. En habile courtisan, il parvient à convaincre les Scorpion de nous laisser aller sans trop leur en révéler sur notre mission.

Nous arrivons enfin dans le patio où l’héritier du trône d’Emeraude avait l’habitude de s’entraîner. Un vieil acer projette son ombre sur des dalles de terre cuites polis par les pas. Le lieu est vide de toute présence et nous ne découvrons aucun indice.

Un esclandre non loin. Le bruit des lames qui s’entrechoquent.

Depuis un couloir proche, nous apercevons un guerrier du Lion dans une antique armure rouge aux prises avec la patrouille rencontrée tout à l’heure. L’homme seul se bat avec courage mais il ne fera pas le poids face à quatre bushi.

Daidoji Yuki interpelle alors Yogo Sheru :

« Ne serait-ce pas l’homme que nous recherchions ? »

Mon jeune maître la regarde avec stupeur : « Non, je ne crois pas. »

La mine dépitée, Yuki-san soupire de déception. Je gage qu’elle aurait voulu que nous fassions du Lion notre prisonnier pour l’interroger. Mais Yogo Sheru-sama a été pris au dépourvu par la question directe, et son honnêteté a pris le dessus.

Le guerrier Lion meurt en une passe d’arme. Je prie silencieusement pour qu’il rejoigne ses ancêtres. Deux des soldats Scorpion sont sévèrement blessés, ils vont sûrement mourir de leurs blessures. Kazehiko-kun attends que les Scorpion quittent la scène pour s’approcher du cadavre du Lion. C’était un garde d’élite. Le shugenja adresse une prière aux kamis pour le salut de son âme, les mains jointes, les yeux fermés.

Yuki-san est à l’initiative et mène notre petit groupe dans les escaliers. Au troisième étage, nous découvrons un espace dévolu aux invités, ainsi qu’une salle de réception. Là gisent plusieurs corps de bushi Scorpion. Des traces de sang au sol nous mène jusqu’à une petite pied dédiée au service. Nous découvrons un autre garde d’Elite du Lion, son armurée dorée maculée de sang. Il était visiblement en train de se préparer au seppuku.

L’homme s’appelle Akodo Sofu-san, et il était attaché à la garde du fils des Cieux, celui-là même que nous cherchons si ardemment.

Et la nouvelle qu’il nous livre tombe comme un couperet.

« Le fils des kamis est mort. »

Il a vu de ses yeux le fils de l’Empereur dont il avait la garde mourir sous les lame des Scorpions. Ils ont formé un dernier carré, lui et la garde rapproché de l’héritier. Les Scorpions ont lancé l’assaut et ce fut un bain de sang.

Son frère était plus vaillant que lui et il est descendu trouver la mort au combat. Selon lui, Akodo Toturi, son maître, serait le seul à pouvoir réunir une armée pour tenir tête à l’usurpateur. Kazehiko-kun manifeste son désir de rejoindre cette résistance. Yuki-san est plus réservée et évoque la possibilité de s’entretenir avec le daimyo de son clan, Daidoji-dono.

Isawa Kazehiko-san assiste Akodo Sofu-san pour son seppuku. Sa main ne tremble pas. En tant que yojimbo, le samurai du Lion a en effet échoué à assurer la garde de Sotorii-dono. Le suicide rituel est un moyen pour lui de laver une telle perte d’honneur au regard de l’ordre céleste. Il pourra se réincarner de nouveau et tenter d’accomplir son dharma.

J’adresse une prière aux kami pour le salut de son âme.

Le témoignage de feu Akodo Sofu-san est sans appel. Notre dernier espoir vient de mourir comme la lueur d’une luciole face au lever du jour.

Une mare de sang.
Dans l’agonie du fauve,
L’espoir dérobé.

Droiture. Gi 義
Courage. Yū 勇
Bienveillance. Jin 仁
Politesse. Rei 礼
Sincérité. Makoto 誠
Honneur. Meiyō 名誉
Et… Loyauté. Chūgi 忠義,

Telles sont les vertus décrites par le kami Akodo dans ce qui forme aujourd’hui le code du Bushido. Et c’est bien cette dernière vertu que Yogo Sheru-sama va avoir du mal à honorer désormais.

Même si on ne devient pas Empereur en tuant le dernier Empereur, le daimyo de Sheru-sama est indiscutablement Yogo-dono, qui est partie prenante dans ce coup d’état, un défi lancé à l’ordre céleste.

En effet, c’est jadis le tournoi des Kami qui permis à Hantei d’accéder à la charge d’Empereur. Et ce serait le kami Shiba qui serait arrivé le suivant, plutôt que Bayushi. D’un point de vue plus pragmatique, on pourrait aussi considérer qu’un conseil réunissant les Champions des Clans, héritiers des kamis d’autrefois, serait capable d’arbitrer le dilemme.

C’est pourquoi il n’y a plus de voie honorable pour Yogo Sheru-sama.

S’il suit aveuglément Yogo-dono, il approuve l’hérésie de Bayushi Shoju.

S’il rejoint les armées de ceux qui s’opposent au coup d’état, c’est refuser de suivre les ordres de son maître, Yogo-dono.

S’il se suicide dans un seppuku, il lave une partie de l’honneur perdu et confie à sa prochaine réincarnation le soin d’accomplir son dharma.

S’il devient ronin, un « homme-vague », il rompt avec son maître pour devenir un paria. Il perds beaucoup de son honneur mais conserve l’espoir de le reconquérir dans cette incarnation.

Je ne sais quelle voie mon jeune maître va emprunter, mais je respecterai son choix et le supporterai jusqu’au bout.

つ づ く

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Lignes de Fuite
竜也の物語

Le combat tourne court rapidement. L’antique marqueterie du palais impérial est poisseux du sang des samouraïs tombés au combat. Les bushi Scorpion survivants se désengagent du combat. L’embuscade tendue par les miharu menés par un Seppun Mazu exsangue est concluante. L’officier est en effet mal en point. Je ne suis pas le seul à le remarquer, car Kazehiko-kun puise dans ses réserves pour conjurer les kamis du vide. Le miroitement sur la peau du blessé et sa mine soulagée prouve que la bénédiction du jeune shugenja est un succès. Yuki-san et Seppun-san échangent quelques mots, puis rengainent leurs lames.

Le combat terminé, Yogo Sheru-sama retourne jusqu’au présentoir brisé par son coude. Il récupère le fourreau qui gît dans les débris de verre. Il rengaine le katana et le passe à sa ceinture, avant d’aller explorer les pièces alentours.

J’arrache un morceau de bannière d’apparat pour réaliser un bandage de fortune pour le vaillant Kazehiko, qui a reçu une belle estafilade dans la mêlée. En effet, les shugenja sont bien incapables de se soigner eux-mêmes et ne peuvent dispenser la bénédiction des kamis qu’à autrui.

Seppun Mazu-san nous enjoint à ne pas rester là et à le suivre. Selon lui, des renforts Scorpion ne tarderont pas passer par là car plusieurs escouades traquent le fils d’Hantei. Il précise aussi que la Cité Interdite a été bouclée par les forces Scorpion dès les premiers moments du coup d’état. Ce faisant, il jauge du regard Sheru-sama et son kimono cérémoniel blanc et rouge qui arbore les mon de la famille Yogo. Nous le convainquons rapidement que Yogo Sheru-sama est un homme d’honneur.

Notre guide se plaque contre une paroi d’apparence quelconque qu’il fait pivoter. Nous pénétrons par ce passage secret dans le dédale caché de la Cité Interdite. Après une série d’étroits couloirs poussiéreux nous franchissons une trappe, descendons à l’échelle jusqu’à un étage où nous devons marcher à croupi pendant quelques temps.

Je suis complètement désorienté quand enfin nous pénétrons dans une vaste pièce. C’est une sorte de dojo secret, avec ses tatamis et ses râteliers d’armes. Une dizaine de miharu sont présents, certains blessés, ainsi que quelques courtisans. Je reconnais plusieurs membres de la famille impériale, des kuge de la famille Otomo.

La fenêtre ouverte offre une vue imprenable sur la cité. Mais ce crépuscule d’automne n’invite pas à la contemplation. De nombreux incendies sont visibles dans tout la ville. Aucun quartier ne semble épargné. Bayushi Shoju-dono et son état-major ont dû méticuleusement planifier l’attaque de toutes les cibles stratégiques de la ville, à commencer par les différentes casernes qui émaillent la cité impériale. Plus proche de nous, une colonne de fumée noire s’échappe d’un des palais intérieur de la cité interdite. Et que je sache, c’est là chose inédite. Même du temps d’Hantei XVI, le Chrysanthème d’Acier aux maintes folies, pareil blasphème n’avait pas été commis.

Mille escarbilles
Dansent dans le vent amer —
L’Ordre Céleste.

Quelques courtisans viennent s’enquérir de notre santé. Certains chuchotent derrière leurs longues manches de soie en voyant l’emblème des Yogo orner la tenue de Sheru.

Nous retrouvons un peu d’intimité pour enfin discuter tous les quatre de la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est la première fois depuis que la tête de l’Empereur a roulé sous nos yeux que nous pouvons réfléchir et discuter. Sheru-sama dégaine et observe de plus près la lame de son katana. Il demeure quelques réflexes de ma vie passée, car je trouve la lame fort belle et j’ai pendant un instant fugace l’envie de m’en saisir.

Cela me rappelle un aphorisme que me récitait jadis mon père, que je partage alors à Sheru-sama :

« L’homme forge le sabre. Le sabre forge l’homme. »

Comme les deux faces d’une même pièce. Ce n’est pas pour rien qu’on murmure des histoires de sabres bénis ou maudits au coin du feu les soirs de veillée. Aussi, sitôt que j’en aurais le loisir, je me renseignerai sur l’histoire de la récente acquisition de Yogo Sheru-sama. Si c’est une lame de maître, je parviendrai peut-être à retrouver sa trace.

Ce qui semble être un ministre, à bien regarder sa mise, s’avance vers nous, escorté d’un miharu. Il s’agit de l’honorable Otomo Aki-sama, haut magistrat à la cour de l’Empereur. L’homme essaie tant bien que mal d’évaluer notre loyauté, mais il est difficile pour lui de faire la fine bouche en ces temps troublés. En voyant Kazekiko-kun parmi nous, il nous révèle que son maître Isawa-dono et sa fille seraient toujours dans l’enceinte de la Cité Interdite. Il demande au Phénix d’essayer de contacter son maître. Kazehiko s’y essaye à deux reprises, mais sans succès. Ses petits moineaux guidés par les kamis volettent en rond au-dessus de sa tête avant de se disperser. Le magistrat a une autre doléance : il demande à Daidoji Yuki-san de prêter main forte à Seppun Mazu-san, ce dernier essayant d’échafauder un plan.

Cette dernière va trouver le bushi qui lui confie vouloir organiser deux groupes. Un groupe pour tenter une sortie et évacuer les courtisans par la porte la moins gardée. Et un autre groupe pour retrouver la trace de l’héritier d’Hantei, et de lui prêter secours. Dans les deux cas, la tâche semble ardue… voire suicidaire. Yuki-san l’aide toutefois à préparer son plan.

Le temps est venu de parler de l’assassinat de l’Empereur Hantei XXXVIII, le Fils des Cieux en personne, de la main même d’un de ses plus proches conseillers. Comment pareil complot a pu être oudi sans être découvert ? Je décide de livrer ce que je sais à mes amis : Togashi Yokuni-dono était peut-être au courant, puisqu’il m’a ordonné de transmettre l’ordre de rapatriement des Dragons de la Capitale. Ses mots résonnent encore en moi.

« Si un grand malheur arrivait, et qu’en voulant l’empêcher, vous causiez un malheur encore plus grand, auriez-vous fait le bon choix ? »

Il n’y a pas de bonne réponse à cette question.

Kazehiko-kun nous fait part de son sentiment. Il est d’avis de partir à la recherche de l’héritier légitime du trône, Sotorii-dono, le fils d’Hantei. Yuki-san regrette de ne pouvoir interroger ses supérieurs Daidoji en ce moment-même. Pour ma part, je suis prêt à miser une bouteille de saké que son clan est déjà en route vers la capitale avec son armée. Sheru-sama préfèrerait que nous participions à l’exfiltration des courtisans.

Finalement l’unique question qui hante notre maître Yogo Sheru-sama c’est de savoir ce qui est le plus honorable à faire dans les circonstances actuelles. Qu’est-ce que dicte le bushido dans pareille situation ?

« Suivre ses Maîtres. »

Oui… mais qui sont-ils aujourd’hui ? Après mûre réflexion, il y a deux cas de figures possibles. Si l’héritier est toujours en vie, alors le sauver et s’assurer qu’il puisse accéder au trône est la chose la plus honorable à faire, et ce, même si le daimyo du Scorpion n’y est pas favorable. Dans l’autre cas de figure, si l’héritier est décédé ou incapable de monter sur le trône, alors Sheru-sama devrait tout mettre en œuvre pour sa famille et son clan :

« Le daimyo ordonne, le bushi obéit. »

Dans les deux cas, il nous faut savoir si l’héritier d’Hantei est encore vivant.

Cela nous convainque tous que c’est donc la meilleure chose à faire : trouver Sotorii… même si nous devons y laisser la vie.

つ づ く

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Les Noces Amarante
竜也の物語

Nous y voilà, honorable lecteur.

Ta pugnacité à lire ma modeste geste des Fragments du Vide sur ces trois années entières n’aura pas été vaine.

Car c’est ici que tous les fils de mon récit convergent pour tisser le nœud d’un évènement qui est à la fois une fin et un commencement. Il annonce une période de troubles si terrible que l’équilibre même du monde de Rokugan en sera altéré. En couchant ces mots sur le rouleau de papier à la lueur de ma chandelle, mon pinceau tremble encore de l’effroi que j’ai connu cette année-là.

Cette année 1123 s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices.

Kakita Sheru, très honorable bushi du clan de la Grue, ancien Shikken impérial, l’homme que j’ai juré de protéger et que je sers depuis bientôt six années, va se marier cette année. Sa promise n’est autre que Yogo Ikumi, la très honorable shugenja du clan du Scorpion, nièce du daimyo de la famille Yogo et chasseuse de maho-tsukai émérite. C’est aussi la meilleure amie de son garde du corps yojimbo, la fidèle Daidoji Yuki.

Leur union est un événement d’importance pour les familles Kakita et Yogo, mais aussi pour la Grue et le Scorpion, car les tensions entre les clans majeurs n’ont cessé de se multiplier ces derniers temps. Et tous les signes d’apaisement sont accueillis favorablement par ceux qui aspirent à voir l’Empire en paix. Au point même que l’Empereur Hantei XXXVIII, le Fils des Cieux en personne, accorde sa bénédiction au couple. L’union sera célébrée dans le palais impérial en la capitale d’Otosan-Uchi. Pour ne rien gâcher, je crois qu’une certaine forme d’affection s’est établie entre les deux promis. Kakita-sama a dans les premiers temps effectué une cour très protocolaire, mais nos pérégrinations en terres Scorpion et Phénix les ont rapprochées petit à petit. Une conséquence importante de ce mariage est que Kakita-sama prendra le nom de Yogo. En effet, Yogo Ikumi-sama ayant une lignée particulièrement remarquable, la famille Kakita a accepté cet honneur en respectant les anciennes coutumes. Je ne sais quoi en penser. La vieille personne que je suis aura un peu de mal à s’habituer à appeler correctement Yogo Sheru-sama par son nouveau patronyme.

Mais un temps pour chaque chose. Et j’ai donc eu fort à faire en ce début d’année en ma qualité de conseiller de Kakita-sama pour participer à l’organisation des festivités. C’est d’ailleurs aussi le fardeau de son conseiller spirituel, le jeune Isawa Kazehiko. Le tempétueux shugenja du Phénix a bien murit depuis que je le connais. Ces derniers mois furent l’occasion de prendre nos quartiers dans la cité impériale, si immense et fourmillant de lieux et de personnages attachants. Le centre de l’Empire d’Emeraude est fidèle à sa réputation mais nous avons fini par trouver nos aises dans ce labyrinthe recelant bien des surprises.

En ce treizième jour du mois du Coq, je n’ai jamais été aussi proche du cœur du monde des hommes. Comme des boîtes gigognes rangées harmonieusement, la cour intérieure dans laquelle nous nous trouvons se situe dans l’enceinte du Palais impérial, lui-même lové dans le sein de la Cité Interdite, qui elle-même se dresse au centre de la Cité Intérieure, entourée par les nombreux quartiers du reste de la capitale.

L’été est terminé, mais la température reste douce pour la saison. Les quatre camphriers parfaitement entretenus à chaque coin de la cour ont conservé leur livrée sylvestre. Cette vaste cour intérieure accueille un petit sanctuaire de bois peint en rouge, à l’architecture rudimentaire et très ancienne. Sous son toit se trouve un bassin entouré de neuf pierres, certaines couvertes de mousse. J’imagine une référence discrète aux kami, eux qu’on ne peut représenter dans les arts. Je devine quelques carpes koi qui tournoient sous la surface de l’eau. C’est ici que Kakita-sama et Yogo-sama se réunissent pour sceller leur union. Lui, est habillé d’un kamishimo blanc et rouge cérémoniel, qui arbore le mon de la famille Yogo, un masque fait de plumes enflammées. Elle, porte le shirokumu traditionnel, le kimono blanc des mariées, symbole d’innocence. Le rite de purification terminé, ils font tous deux face au vieux prêtre de Shinsei qui leur tend un plateau en bois laqué portant un service à saké pourvu d’une seule coupe en terre cuite. Un shamisen égrène quelques notes pendant que, très lentement, les époux se servent et boivent tour à tour, avalant le breuvage en trois gorgées. Mon cœur se serre : les voilà unis devant les kamis. Le reste du saké est versé par le prêtre sur la plus grosse des pierres, et je devine ce geste comme un rite Shintao en hommage à l’Empereur. Je ne peux m’empêcher de remarquer le regard troublé d’Ikumi-sama alors que les mariés entrent dans le bâtiment attenant, rapidement suivis par leurs invités.

La salle d’audience publique est le lieu choisi pour le repas de noce. L’endroit est très beau, haut de plafond avec une fine marqueterie au sol. Les poutres sont sculptées de différents animaux et mon regard s’attarde sur ce dragon aux écailles bien dessinées qui semble sortir d’un nuage et me fixer de ses yeux vides. L’artisan qui a réalisé cela était un maître. Une troupe de musiciens Grue joue une musique agréable alors que les convives s’installent sur les tables sobrement décorées de quelques fleurs séchées agencées avec un goût trop subtil pour le vieux rustre que je suis.

J’entends le froufrou de la vague des étoffes des gens qui s’agenouillent avant de le voir s’approcher.

L’Empereur d’Emeraude. Le fils du Soleil et de la Lune en personne fait son entrée. Il est accompagné de sa suite et se dirige jusqu’à son trône. Parmi elle, je reconnais Bayushi Shoju, Champion du clan du Scorpion et Maître Espion Impérial ainsi que son épouse la belle Bayushi Kachiko, Conseillère Impériale.

Je m’agenouille à mon tour, comme tout le monde. J’entends l’Empereur deviser avec Bayushi Shoju. Je ne suis pas capable d’entendre distinctement ce qu’ils disent, mais je ne peux m’empêcher de lever le nez pour entrevoir la scène.

Juste à temps pour voir Bayushi Shoju dégainer son antique katana et dans un geste fluide, trancher la tête du souverain céleste.

L’été terminé,
Du plus haut chrysanthème —
Tombe la tête.

Le temps s’arrête un instant. Je suis pris d’un vertige alors que la tête tombe au sol dans un bruit mat outrancier sur les lattes du plancher. Les yeux exorbités, son visage reste figé dans un rictus de surprise.

La seconde qui suit, les gardes du corps du Champion du Scorpion exécutent les miharu, la garde d’élite rapprochée de l’Empereur avant même qu’ils ne puissent réagir.

Mon ki s’embrase et afflue dans mon crâne. Je serre les mâchoires pour contenir la douleur des pensées qui s’accélèrent sous l’effet du kiho. Un flot d’images se superposent sous mes yeux : les premières flammes de la guerre à Kenson Gakka, le regard triste de Yogo Ikumi, les inquiétantes prophéties d’Uikku trouvées dans le labyrinthe de Bayushi Kyuden, les visions incomprises dans la fumée d’encens, les vérités effleurées lors de notre plongée dans les royaumes spirituels… et le regard implacable d’un dragon de bois sculpté qui me juge. Je réprime la nausée qui monte en moi.

L’ordre incongru de Togashi Yokuni-dono invitant tous les membres du clan du Dragon à quitter la capitale pour retourner dans nos montagnes prend à ce moment-là un sens tout particulier. Il savait, il était au courant.

En ce moment précis, c’est l’ordre céleste tout entier qui est défié par un seul homme. Bayushi Shoju. Un coup d’État. Mais pourquoi ? J’en suis certain, le clan du Scorpion est condamné. Quels que soient leurs stratagèmes, ils ne pourront lutter contre les autres clans qui s’allieront contre eux. La prise de risque est immense, et malgré sa réputation de duplicité, le Scorpion a toujours été un des plus diligents serviteurs de l’Empire. Quelque chose m’échappe. Quelque chose d’important.

Face à moi, comme moi, mes amis sont stupéfaits. Tous sauf une. Yogo Ikumi murmure d’une voix douce « Pardonne-moi » à son époux, avant de se planter un couteau acéré en plein cœur.

Tapi en son sein,
Le maléfice s’étend —
Pétales de sang.

Kakita-sama semble mort au-dedans, comme une statue inanimée. Yuki-san est encore plus pâle que ses cheveux quand elle voit sa précieuse amie se suicider de la sorte. Des étincelles vertes émanent des poings serrés de Kazehiko-kun qui fixe la scène d’un regard où se mêle rage et stupeur.

La pauvre mariée était bien sûr au courant du stratagème. Elle n’a pas eu d’autres choix que de suivre des ordres qui la répugnait au point de s’abandonner à une mort déshonorante. Je sais que la malédiction de Yogo se manifeste encore régulièrement chez ses descendants, mais je n’aurais jamais imaginé qu’un tel drame puisse toucher Ikumi-sama et Sheru-sama. En tout cas pas avec une telle ampleur.

Yuki-san allonge la dépouille de feu son amie, lui fermant les yeux du plat de la main. Elle lui ôte son masque, un memento mori qu’elle glisse dans son kimono.

Autour de nous, le chaos.

Beaucoup se précipitent en direction du Champion du Scorpion, mais désarmés, hommes et femmes se font exécuter sans sommation. Une femme hurle sans discontinuer, son esprit sombrant dans la folie. Pire, un homme s’arrache les yeux, incapable de supporter la vue de son Empereur décapité. Là, une femme se précipite pour récupérer la lame d’un miharu tombée au sol pour se suicider dans un simulacre de seppuku.

Le sol est poisseux de sang.

Des cris se font entendre plus loin dans le palais. J’imagine le plan des Scorpion en train de se déployer comme un bouton floral qui s’épanouit à la lumière de l’aube.

Yogo Shuri, l’oncle d’Ikumi et daimyo de la famille Yogo s’avance en direction de Bayushi Shoju. Le patriarche fixe son suzerain sans un mot alors qu’il marche d’un pas déterminé en direction du cordon de samouraïs qui brandissent leurs lames ensanglantées. Mon regard de courtisan ne peut s’empêcher de remarquer qu’un test de loyauté se déroule sous nos yeux. Les lames s’écartent à la dernière seconde pour laisser passer Yogo-dono qui rejoint le régicide à son côté.

Bayushi Kachiko pose une main sensuelle sur l’épaule de Kazehiko-kun qui semble hésiter à déchaîner la fureur des kamis, ses poings serrés toujours crépitant d’étincelles de jade. J’entends à peine sa voix suave glisser au shugenja du vide :

« Le feu de votre colère servira sans doute, mais pas aujourd’hui. »

Il sursaute, comme se réveillant soudain. Ses yeux sont plein de larmes et il reste coi, désespéré.

Kakita-sama, ou plutôt « Yogo-sama », saisit lentement le couteau qui a ôté la vie de son épouse. Il retrouve la parole et échange quelques mots avec nous. Il ne sait pas comment réagir. Sa vie a toujours été dictée par l’honneur. Mais la situation actuelle est inédite… Doit-il prendre les armes pour lutter contre ce coup d’État ? Doit-il accepter les plans de son nouveau suzerain ? Son nouveau daimyo lui accorderait-il le seppuku ? C’est j’imagine le genre de questions qui le taraudent.

La confusion semble le gagner quand il tente mollement de se suicider en se plantant le couteau dans le ventre, me forçant à lui arracher. Je confie la lame meurtrière à Yuki-san, qui sera ensuite désarmée par un sergent Scorpion attentif.

Sur une intervention de Bayushi Kachiko, des hommes viennent en aide à Sheru-sama et un shugenja lui apporte les premiers soins. Yogo Sheru-sama est complètement amorphe. Il se laisse faire comme un pantin désarticulé. Quelque-chose vient de rompre en lui, et cela me rend profondément triste.

J’observe à nouveau l’assassin de l’Empereur. Très calme, il a rengainé son katana et fait face au trône. Il ne s’y assoie pas. Je remarque que les convives qui ne se sont pas précipités dans sa direction sont toujours en vie.

Un groupe de bushi évacue les otages survivants dans une pièce annexe. Sur ordre de Kachiko-sama, nous sommes séparés d’eux, isolés puis conduits au cinquième étage où se trouve la salle d’audience privée de l’Empereur. Là se trouvent déjà plusieurs personnalités. Je reconnais Kuni Fujiko-sama, shugenja du Crabe, Ambassadrice officielle de son clan à la cité impériale. Une femme plutôt jeune pour exercer une charge de cette importance, mais l’âge n’est pas un gage de compétence. Malgré le contexte, elle semble sereine et attentive. J’aperçois aussi Yasuki Taka-dono, le daimyo de la famille Yasuki, un homme que je connais de réputation : celle d’un marchand talentueux qui a construit une grande fortune et renforcé l’influence économique du clan du Crabe. L’homme est plutôt âgé mais affiche une mine débonnaire. Derrière lui, il est assisté par un visage connu : Yasuki Genji-san, un marchand affable croisé à Kenson Gakka avec lequel Ayame-chan a échangé à plusieurs reprises.

En ce jour funeste, aucun détail ne doit m’échapper et la présence de ces personnes a forcément une signification importante.

A peine le temps d’échanger quelques civilités que Bayushi Shoju fait son entrée sous bonne escorte, accompagné de Kachiko et Yogo-dono. Sans nous adresser un regard, il s’arrête devant le trône, pose une main dessus et murmure d’une voix rauque :

« Avec la mort d’Hantei, la prophétie ne pourra s’accomplir. Le Dieu Sombre n’anéantira pas l’Empire. Au crépuscule de la vie d’un homme, vient l’aube d’un nouvel Empire. »

Il s’assied sur le trône et fixe un regard sombre sur les personnes présentes dans la salle. Ses hommes s’inclinent devant l’Empereur Shoju premier. Ces quelques mots résonnent en moi, c’est un début de réponse à mes questions.

« Et qu’en est-il de notre famille ? » l’interpelle Kuni Fujiko-sama.

L’Empereur autoproclamé lui rétorque d’une voix avenante :

« Un message a été envoyé à votre daimyo, Hida Kizada. Nous aviserons selon sa réponse. Pour l’heure, en tant qu’invités de l’Empereur Shoju, vous pouvez garder… une certaine liberté. »

Sur un signe de tête, les bushi Scorpion nous font sortir de la salle. Je vois Kazehiko-kun et Yuki-san s’échanger des regards, et je suppose qu’ils usent de leur leg de Fragment du Vide pour deviser en silence. Le jeune Isawa m’expliquera après coup qu’il planifiait de s’enfuir la nuit venue car il était hors de question qu’il devienne une monnaie d’échange pour sa famille. Et c’est tout à son honneur.

Alors que nous sommes menés à travers le palais vers nos quartiers pour la nuit, une embuscade surprend notre escorte. Ce sont des miharu survivants, accompagnés d’un bushi connu de Kazehiko-san du nom de Seppun Mazu. Est-ce qu’ils viennent pour nous libérer ? Toujours la tête pleine de réflexions et de conjectures, je ne sais plus qui est ami, qui est ennemi.

Yogo Sheru-sama profite de la confusion pour prendre la tangente. Yuki-san et Kazehiko-san se posent moins de questions que moi et n’hésitent pas une seconde, ralliant le camp des miharu. Yuki-san subtilise le wakizashi dans son fourreau à l’un des gardes Scorpion. Le shugenja Phénix laisse enfin éclater sa colère et une boule de feu frappe un Scorpion de plein fouet.

Voyant les siens ayant maille à partir, Sheru-sama se réveille subitement. Il brise d’un coup de coude le présentoir décorant le couloir et se saisit du katana orné qui s’y trouve. La lame qu’il dégaine est très ancienne et sûrement le travail d’un maître artisan. Je ne peux m’empêcher de penser à mon forgeron de frère qui réside dans les terres Mirumoto. J’espère que lui et le reste de notre famille survivront à l’âge sombre dans lequel nous entrons.

Cette humble prière dissipe le chaos de mes pensées. Je prends une grande inspiration.

En expirant, j’ôte d’un geste le haut de mon kimono, révélant mes tatouages sacrés de moine Ise-Tsumi.

Tant que je serai en vie, j’honorerai mes serments.

つ づ く
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Vision : Kuni Shigemasa
Interlude 3.2, Année 922

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Il souffrait. De tout son corps, de toute son âme. Chaque geste était un supplice, un arrachement. En rampant vers les ruines d’un autel de pierre détruit pendant l’affrontement, il réalisa qu’il ne sentait plus ses jambes. Elles ne voulaient pas l’aider à se déplacer, tandis que ses mains glissaient sur le sang accumulé par les nombreux cadavres de leurs légionnaires.

Il se redressa avec un cri de douleur. Son hakama était déchiré de bout en bout et une large plaie courait de son épaule à sa hanche. Il se vidait de son sang et irait rejoindre ses ancêtres bientôt.

En repensant à leur expédition, il ne peut s’empêcher de se maudire pour leur naïveté. Ils étaient venus sur l’ordre du Conseil Élémentaire pour détruire un esprit corrompu. Mais ce que les sages ignoraient visiblement, c’est que le Ryu du Vide n’était pas à l’origine des massacres : au contraire, cet esprit avait parcouru les terres du Phénix traquant un Seigneur démon nommé Kuzuki no Oni, invoqué par un Shugenja du Phénix incapable de maîtriser le monstre. Et ce dernier avait réduit plusieurs villages à néant, dont le Village des Deux Pins où vivait une moniale protégée du Ryu du Vide. Cédant à la colère, l’esprit dragon pourchassa l’Oni jusqu’au cœur d’Isawa Mori où il parvint à le bannir pour un temps. Mais le démon n’avait pas dit son dernier mot, et avait visiblement souillé le cœur même de la forêt. Les survivants, mû par leur corruption, avait tous racontés la même histoire, d’un esprit divin devenu fou, et la Légion s’était attaquée au Ryu sans attendre.

A présent qu’il mourrait, Shigemasa voyait enfin la vérité dans le mensonge. Il percevait les tromperies dont l’Oni avait fait usage, semant dans leurs esprits les graines de la haine, et ses compagnons et lui-même, aveuglés, avaient assailli un esprit de Tengoku qui recouvrait de ses blessures après un juste combat contre le démon qui avait pris sa protégée.

L’affrontement avait commencé après la disparition de Bayushi Miyuno, Shugenja de l’Air et fiancée de leur commandant Isawa Kanedata. Cette dernière, maîtresse des illusions, s’était avancée seule jusqu’au temple en ruines sur l’idée de Dame Kakita Etsumi, et n’était jamais revenue rapporter ce qu’elle y avait vu. Furieux d’avoir perdu sa promise, Kanedata avait lancé toutes ses forces dans la bataille, sans aucune stratégie, et le massacre avait commencé.

Shigemasa voyait clair à présent : la corruption des terres de Kinkaku avait perturbé les esprits des fiers samurai, au point de les amener à leur mort. Mais le Shugenja refusait la sienne. Il ne pouvait se présenter devant ses ancêtres après avoir été si facilement abusé. En contemplant le sang qui maculait ses mains, il eut une idée. Et s’il pouvait se servir des kansen, des Kami corrompus, pour survivre ? Il lui suffirait d’un mot. D’une prière. Pour sauver sa vie.

Alors qu’il rampait hors du temple, le visage à moitié arraché, les os brisés, Kuni Shigemasa sentait monter en lui une nouvelle puissance, une énergie mystique qui lui ouvrait les yeux sur le vrai pouvoir. Désormais, il comprenait comment utiliser le sang, le sien ou celui d’autrui, dans une magie profane, impure mais redoutable. Pourquoi les Shugenja du Phénix avaient-ils gardé pour eux cette connaissance formidable ? Désormais, il serait le premier maître d’une longue lignée d’Adeptes du Sang…

Vision fugace des Fragments du Vide
après leur cinquième voyage spirituel,
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Vision : Bayushi Miyuno
Interlude 3.2, Année 922

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Elle pleurait. De tout son être, de toute son âme. Chaque seconde qui passait la rapprochait de son destin implacable : une mort inutile et déshonorante. A chaque pas de l’esprit dragon dans sa direction, elle voyait sa vie défiler devant ses yeux, et à travers elle, chacune des erreurs qui l’avait conduite à cet instant funeste.

Comme tous les enfants Bayushi, elle avait été élevée pour servir le Scorpion, que chaque décision qu’elle prenne le soit en accord avec les intérêts du Clan. Dès son jeune âge, elle avait été fiancée à un jeune notable de la famille Isawa, et elle avait parfaitement compris que sa vie serait consacrée à espionner ce fils d’un Maître Élémentaire, à enquêter sur les secrets du Conseil des Cinq, à rapporter au Scorpion ses découvertes sur les mystérieux Phénix, à voler les trésors de ces prétendus sages, d’avantage prétentieux que loyaux à l’Empire.

La date du mariage approchant, elle avait rejoint Kyuden Isawa pour y côtoyer son promis, et commencer son œuvre de Scorpion. Et au détour d’une conversation espionnée entre Maîtres Élémentaires, elle avait appris qu’une menace pesait sur Gisei Toshi. La légendaire Ville du Sacrifice, censément détruite par une éruption volcanique mille ans plus tôt, existait donc toujours. Il ne restait plus qu’à découvrir sa localisation, et elle recevrait tous les honneurs du Maître des Secrets en personne, le Daimyo du Clan du Scorpion.

Mais pour obtenir cette information, pas d’autre choix que de suivre son fiancé dans une folle expédition, gagner sa confiance, prouver sa valeur et devenir indispensable au Phénix.

Quelle folie, pensait-elle à présent. En maîtresse des illusions, elle s’était proposée comme éclaireur de la légion du Phénix, et avait pénétré la première dans les ruines du Temple des Fortunes abandonnées que le Ryu du Vide avait choisi comme antre. Le monstre aux yeux flamboyants l’avait vue malgré sa magie, et avait bondi, prêt à la détruire pour lui faire payer son sacrilège. Et le temps s’était arrêté. Un murmure avait résonné dans son esprit, une main tendue qui lui proposait une cachette dans les ombres du temple. Elle avait saisi cette opportunité, et s’était réfugiée dans les ténèbres. L’esprit dragon l’avait cherchée, en vain, et lorsque les héros de la légion débarquèrent à leur tour, et livrèrent bataille contre la créature, elle resta blottie dans l’ombre, honteuse d’avoir fui, heureuse de vivre. Cette enveloppe de ténèbres était rassurante, elle lui chuchotait des mots doux à l’oreille. Mais la magie du Phénix produisait beaucoup de lumière, et l’obscurité reculait, disparaissait dans le temple. Au lieu de la sauver, les héros allaient l’exposer aux yeux de tous, exposer sa honte, son déshonneur, sa peur. Alors elle se réfugia dans l’ombre du dragon qui seule subsistait dans la lumière du Phénix. Elle renforça la créature par sa présence, lui offrant des pouvoirs que l’Ombre lui avait donné. Le combat dura des jours, et elle s’échappa à nouveau dans les ténèbres lorsque le Ryu du Vide fut brisé, recevant sa part de Fragment.

Alors qu’elle quittait le temple, dissimulée par les ombres de Kuroi Mori, Bayushi Miyuno était plus déterminée que jamais à se venger de ces traîtres déshonorables qui l’avaient abandonnée à la mort. Telle leur ombre, elle serait continuellement dans leur dos, le poignard prêt à s’abattre sur eux et leur lignée.

Vision fugace des Fragments du Vide
après leur quatrième voyage spirituel,
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Vision : Daidoji Ginta
Interlude 3.2, Année 922

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Il le regrettait. De tout son honneur, de tout son cœur. Chaque instant dans sa vie l’avait amené à ce moment, où il entrevoyait son destin, et celui de sa protégée, Kakita Etsumi. Et il ne voyait pas comment il allait tenir la promesse qu’il avait faite à sa mère.

Il y a bien longtemps que Daidoji Ginta exerçait son devoir de garde-du-corps, de yojimbo, pour la famille Kakita. Ces derniers, estimés artisans et artistes en bien de domaines, avaient toujours pu compter sur les ancêtres de Ginta pour assurer leur protection. Non pas que les rivalités à la cour puissent requérir les services d’un homme d’armes, mais les Kakita aimaient à se déplacer dans tout Rokugan pour montrer leur excellence, et il avait ainsi suivi, discrètement et en toutes circonstances, Kakita Sōto, une courtisane de la capitale impériale, Otosan Uchi. Des années de devoir, au service de sa maîtresse, à parcourir toutes les cours des Clans, et des hivers passés à ses côtés, enfermés par la rudesse du climat dans un palais ou un autre. Elle, qui s’enivrait du faste des Cours, lui qui attendait patiemment à ses côtés.

Lettré par son rang et son héritage, il avait toujours été impressionné par le talent de sa maîtresse, et savait qu’elle possédait en ses mains le pouvoir des Kami créateurs : tout ce qu’elle produisait définissait le beau.

Le mari de Sōto, Kakita Suzuno, était un bushi reconnu, souvent en campagne avec les seigneurs Doji pour le compte du Clan. Ginta le voyait peu, et le respectait encore moins : cet homme prétentieux et bavard méprisait son épouse et son talent. D’ailleurs, Ginta avait souvent offert son épaule à Sōto lorsque celle-ci osait montrer sa souffrance de femme délaissée.

L’arrivée du bébé, Etsumi, fut comme une libération pour sa mère, un poids de plus pour son père. Et c’est Ginta qui fit office de figure paternelle pour l’enfant, aux côtés d’une Sōto métamorphosée par sa maternité et son amitié avec le fervent yojimbo.

Mais à présent, le bushi de la Grue accompagnait Etsumi dans l’antre d’un mal ancien et redoutable. Il regrettait d’avoir laissé la jeune fille accompagner celui qu’elle aimait en secret. Cependant, il savait trop ce que c’était, la folie à laquelle peut conduire un amour secret.

Alors que l’escouade entrait dans le temple des Fortunes au sein de Kuroi Mori, Daidoji Ginta était plus déterminé que jamais à protéger sa fille de l’horreur qu’ils allaient affronter.

Vision fugace des Fragments du Vide
après leur troisième voyage spirituel,
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Vision : Isawa Kanedata
Interlude 3.2, Année 922

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Il tremblait. De tout son corps, de toute son âme. Chaque instant était celui du doute, de la crainte. Sur ses épaules, les responsabilités pesaient lourd, à tel point qu’il se déplaçait voûté depuis que le Conseil Élémentaire lui avait confié cette charge.

Depuis deux mois déjà, un esprit échappé de Tengoku et corrompu par une sorcellerie malfaisante terrorisait les terres du Pénix. Ce dragon impur avait détruit Nimatsu Machi, le Village des Deux Pins, massacrant tous ses habitants, et remontait maintenant dans la forêt Isawa en direction du plus grand secret du Clan du Phénix : la Cité du Sacrifice, Gisei Toshi. Il s’agissait de la plus vieille cité de Rokugan, une ville mythique dont la fondation est le point de départ du Calendrier Isawa. Elle avait été quasiment détruite en 283 lorsque Isawa Akuma avait invoqué Akuma no Oni, qui avait ravagé la ville et détruit des morceaux du manuscrit original du Tao de Shinsei, et là voici à nouveau menacée par un esprit élémentaire majeur.

Un Ryu du Vide, d’après les premiers comptes rendus des Shugenja qui avait survécu à sa rencontre, un esprit dragon perverti, animé d’une haine farouche contre les hommes, qui avait dévasté la province de Garanto, avant d’avancer plein Ouest vers Isawa Mori, la mystique forêt du Phénix.

Le Conseil Élémentaire s’était réuni et les Cinq Maîtres avaient parlé. Une légion du Phénix, menée par Isawa Kanedata, serait envoyée pour mettre fin au massacre. Vu les ravages déjà causés, il s’agissait d’une mission suicide, nul ne l’ignorait, mais tel était le devoir du samurai. L’honneur du Shugenja ne pouvait être plus grand : mourir pour protéger les plus grands secrets et les plus précieux trésors du Clan.

Pour autant, accompagné de sa fiancée Bayushi Miyuno, de son allié Kuni Shigemasa, de son amie et scribe Kakita Etsumi, et de deux cents samurai et ashigaru, il réalisait la dangerosité de sa mission, et le destin funeste qui serait le sien.

Alors que la troupe entrait dans les bois sombres de Kuroi Mori, Isawa Kanedata était plus déterminé que jamais à vaincre le Ryu du Vide. Mais surtout, il voulait survivre à cet affrontement, fusse-t-il au prix de la vie de ses compagnons et de sa légion.

Vision fugace des Fragments du Vide
après leur deuxième voyage spirituel,
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Vision : Kakita Etsumi
Interlude 3.2, an 922

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Elle l’aimait. De tout son cœur, de toute son âme. Chaque rêve était empli de son désir pour le bel Isawa qui partageait ses cours de calligraphie. Chaque moment passé en sa présence était un ravissement.

Elle, courtisane à la cour impériale du Très Resplendissant Hantei XXXIII, héritière des honneurs de la famille Kakita, du très estimé Clan de la Grue.

Lui, prêtre des Fortunes du fier palais Isawa, héritier de l’un des cinq Maîtres Élémentaires du mystérieux Clan du Phénix.

Lorsqu’elle avait appris qu’il partait pour une expédition mortelle au cœur de l’étrange forêt Isawa, combattre un esprit divin atteint de la pire des corruptions qui ravageait les terres du Phénix, elle s’était portée volontaire après de son père. Bien que ne maîtrisant pas l’art de la guerre comme son fidèle Ginta, elle avait prétendu que son soutien pouvait aider la troupe dans cette bataille suicidaire.

Elle espérait que cette aventure la rapprocherait de lui, de son amour éperdu, et qu’ensemble, leurs cœurs unis, ils pourraient vaincre tout ennemi qui leur ferait face.

« Ô beau Kanedata, bel esprit honorable et puissant, que mon affection t’inspire dans ce devoir que tu accomplis pour ton Clan… »

Bien sûr, elle avait senti son cœur défaillir lorsqu’elle avait appris que Bayushi Miyuno serait également aux côtés d’Isawa Kanedata. La belle samurai du Scorpion dont le fier Shugenja s’était épris avait accepté l’invitation de Kanedata à l’accompagner dans cette expédition. Il était vrai que la jolie Scorpion maîtrisait les arts rituels et que sa capacité de parler aux esprits de l’Air serait fortement utile dans la dangereuse bataille que le groupe allait livrer. Mais l’amour d’Etsumi était pur et suffirait à protéger Kanedata des blessures de l’esprit corrompu, elle en était sûre.

A l’heure du départ de Kyuden Isawa, Kakita Etsumi était plus déterminée que jamais à s’interposer entre les deux fiancés, et à convaincre Isawa Kanedata de son amour indéfectible.

Vision fugace des Fragments du Vide
après leur premier voyage spirituel,
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Les Royaumes
Résumé 3.2, Année 1122, Tatsuya no Monogatari

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Contribution de Breloque
竜也の物語

Les mousses dévorent le manoir à deux étages qui ne cesse de pulser d’une lumière verte morbide. Le style de la bâtisse est désuet et vieux de plusieurs siècles.

Kazehiko remarque que la frontière entre les mondes spirituels est extrêmement fine en ce lieu manifestement maudit.

Nous nous installons dans la demeure des domestiques attenante au manoir pour bénéficier d’un répit. Je prépare une cérémonie du thé pour Kakita-sama. Dans mon bol de thé, je vois un funeste présage le concernant… un désaveu politique ?

Kazehiko-san et Ayame-san prodiguent quelques soins à Kakita-sama et Yuki-san. Ayame-san reste avec les chevaux et nos affaires pendant que nous nous préparons à explorer le manoir.

La pause terminée, nous entrons par la porte principale. Des pans de bois on pourrit ou sont défoncés. A l’intérieur la végétation gagne du terrain. Le lieu est encombré de débris de meubles fracturés, comme s’il avait été pillé il y a fort longtemps. Nos lanternes projettent çà et là des ombres inquiétantes.

Phénomène glaçant et fascinant, une brume ruisselle sur les marches de l’escalier qui monte à l’étage. Les marches grincent sous nos pas, Yuki-san en tête. A l’étage, une ancienne bibliothèque avec un panneau à demi-effondré qui aurait pu être l’entrée d’un passage secret. La lumière émane de ce passage.

Avant de nous aventurer vers cette lumière, nous fouillons sans succès le reste du manoir. Au deuxième étage,
Yuki-san plante son katana dans une latte du plancher : de la brume s’en échappe.

C’est Yuki-san qui s’avance en éclaireur, sans un bruit vers l’entrée dont la brume luminescente ne cesse de s’écouler.

Elle découvre une scène effrayante. Le sol noirci est marqué d’un cercle de sel. Au milieu de ce dernier, une forme humanoïde, un amas de chair, flotte dans les airs. La brume sort de la chose et de déverse dans la pièce jusqu’à la taille.

Nous rejoignons Yuki et la créature tourne sa tête vers nous… puis son corps se transforme alors : il gonfle et grossit rapidement, des cornes apparaissent.

Je m’approche le premier de la créature venue tout droit de Jigoku, devançant Yuki-san et Kakita-sama. Kazehiko lance un éclair de jade qui fait hurler l’oni.

D’une voix maléfique venue d’ailleurs, il assène :
« Tu m’as vaincu dans le passé, mais tu m’offres l’occasion d’une vengeance. »

Son bras s’allonge et se modèle en une grosse massue. Je suis incapable d’esquiver son coup et me retrouve projeté contre le mur comme une vulgaire poupée de chiffon.

Un flash de lumière verte. Nous sommes aveuglés, nos oreilles bourdonnent. Quelque chose pivote autour de nous.

Gaki-do, le royaume des morts affamés.

Nous recouvrons peu à peu nos sens dans un nouveau lieu, une maison noble Kakita, sombre et poussiéreuse. Une forte odeur de viande pourrie nous donne la nausée. Des lamentations lointaines se font entendre.

Je suis comme extérieur à la scène, je vois les trois fragments du vide la découvrir. L’endroit est dans le Gaki-do, j’en suis certain. Kakita-Sheru reconnait le Kyuden-Kakita, une version en négatif, aux couleurs délavées et étrangement vide.

Le fantôme d’une femme occupe la pièce dans laque nous nous trouvons. Elle aussi était un fragment du vide jadis, de la lignée des Brasiers. Un serviteur tout aussi éthéré rentre dans la pièce sans nous prêter attention pour apporter du matériel de calligraphie à sa maîtresse. Elle ne parvient pas à prendre le pinceau, comme si ses doigts devenaient immatériels. Elle s’énerve, renverse la table et pleure de rage. Yuki-san ramasse le pinceau tombé par terre. La femme se tourne vers elle et la regarde :

« Mon destin est entaché de mes péchés, je n’ai plus d’utilité en ce monde. Offrez moi une mort honorable avec votre sabre, samurai. »

Elle se nomme Kakita Etsumi.

« Ma lignée est vaine. Aidez-moi à me débarrasser de mes fardeaux… »

Le groupe refuse. Yuki-san réalise un dessin d’Etsumi, magnifique esquisse. Etsumi est fascinée par le dessin et Yuki lui offre. La calligraphe sourit de plaisir. Elle ne pense plus à son funeste destin à cet instant.

La vision se brouille.

Nous voilà de retour face à l’oni. Je me jette sur lui et saisit son énorme bras pour le bloquer dans son dos de tout mon poids. Cela offre une opportunité à mes comparses. Yuki parvient à traverser son armure d’un coup de sabre, mais cela ne semble guère affecter le démon. L’éclair de jade conjuré par Kazehiko frappe l’oni qui hurle à nouveau de douleur.

Je parviens à maintenir ma prise, et la créature dit d’une voix bien différente, avec un timbre… humain :
« Tuez-le, tuez-moi. »

Un nouveau flash de lumière verte.

Toshigoku, le royaume du massacre.

Un château grossier de pierres ocre amoncelées, dans une plaine désolée sans végétation. Les eaux putrides stagnent dans un marigot non loin.

Les fragments du vide font face à une armée spectrale. Derrière eux une autre armée. Pris entre le marteau et l’enclume, la bataille est inéluctable. La clameur de la charge se fait entendre.

Kazehiko-san a senti la présence d’un fragment du vide de la lignée des Savoirs non loin. Les deux armées s’affrontent dans une éternelle bataille, qui se répète sans fin.

Kazehiko, Yuki et Sheru y participent alors des heures durant, avec fougue, gagnant de la gloire aux yeux de ces combattants .
Le jeune shugenja se rapproche de son aïeul et combat à ses côtés. Ce dernier, satisfait, lui annonce :

« Je suis fier que tu ais rejoins notre armée. »

Toujours bloqué par mon étreinte, il semble que l’armure de l’oni s’affine après chaque vision.
Ne perdant pas plus de temps en palabres, Kazehiko envoie un nouvel éclair qui blesse la créature. Yuki-san profite de l’armure affaiblie pour asséner un coup puissant et précis au démon qui mugit sa rage et sa douleur.

Yomi, le royaume des ancêtres bénis.

Un splendide château. Des champs et des rizières verdoyantes à perte de vue.

Devant l’arche qui mène au château se tient un vieil homme, Daidoji Ginta. Le fragment originel de la lignée des Secrets. Il porte un masque blanc comme tous les habitants de ce royaume.

« Personne n’interdira votre retour dans le royaume des mortels ni ne vous gênera dans votre quête. C’est ici à Shiro-no-yojin, que tant des miens ont vécu et sont morts.

Méfiez-vous des Fragments de l’Ombre, ils obéissent à une force qui met en danger l’équilibre des royaumes spirituels. Détruisez-le ou il vous détruira. Chaque génération donne naissance à un de ces fragments maudits… Vous avez ma bénédiction. »

L’armure magique de l’oni a quasiment disparue, mais il s’enrage et se libère enfin de mon étreinte, m’envoyant valser contre le mur.

Kakita-sama profite de l’instant et porte un coup mortel à l’oni, dont le sang noir gicle abondamment.
C’est au tour de notre épéiste légendaire Daidoji Yuki-san de porter un coup de grâce monumental. Kazehiko-san conjure son plus bel éclair, citant le nom des aïeux, Fragments du Vide originel, mettant un terme à cet étrange combat. Mais une dernière lueur subsiste dans les yeux du démon.

Meido, le royaume de l’attente.

Un géant dans son armure lourde, Emma-O, assis sur un trône blanc qui précède une arche. La Fortune de la Mort. Il se lève soudainement. A chaque pas, les âmes fuient. Il fulmine, son ire palpable comme une aura, le marteau lourd à la main :

« Votre heure n’est pas venue. Mourrez ici dans le royaume de l’attente ou repartez d’où vous venez. Votre présence est une insulte à l’Ordre Céleste. »

Une demi-géante est là non loin. C’est Jizo, Fortune de la compassion qui nous invite à dire quelle est l’âme que nous recherchons. Nous apprenons que Kuni Shigemasa a déjà été envoyé au Jigoku. Quant à Bayushi Miyuno, la Scorpion évoquée dans les visions par Etsumi et Kanedata, son âme a été volée et dévorée par l’ombre rampante.

Emma-O, emmène les Fragments du Vide jusqu’à l’arche de pierre afin qu’ils rejoignent leur royaume.

Une ultime vision nous révèle que Bayushi Miyuno s’est cachée dans l’Ombre pour sauver sa vie et a été initié à des pouvoir interdits pour devenir le premier Fragment du Vide de la lignée de l’Ombre.

Cette révélation est d’une importance considérable. Cela veut dire qu’il existe une autre lignée en plus de celles que nous connaissions jusqu’à présent !

L’oni incante dans une langue sombre et inquiétante. Kakita-Sheru sama est le plus rapide à réagir et tranche la mâchoire du démon pour mettre un terme à cette funeste rencontre.

Jigoku, le royaume du mal.

Un vent mystique souffle et pénètre les âmes des Fragments du Vide baignés dans des miasmes écarlates. Des esprits malfaisants sont attirés par l’humanité. Ils viennent se lover et se frotter contre les âmes de mes compagnons.

Un fragment est présent parmi eux. Un démon à forme de mante religieuse est là, dévorant ses membres dans une souffrance infinie. Elle s’adresse aux fragments dans leur tête :
« Fuyez, misérables traitres avant qu’il ne vous rattrape. »

Et ils s’exécutèrent, grimpant sur un nuage putride dans ce maelström maudit non sans souffrit des griffes des esprits.

C’est tout du moins ce que mes compagnons me relateront de cette terrible expérience.

Une vision nous révèle aussi que Kuni Shigemasa a fait un choix terrible aux portes de la mort. Il s’est ouvert à des sombres patrons et est devenu le premier Fragment du Vide de la lignée du Sang, dépositaire d’une puissante magie noire. Loin de l’histoire officielle…

L’oni a disparu. Le cadavre d’un humain gît en lieu et place. Sûrement le shugenja venu déterrer les sombres secrets de ce lieu, à l’origine de la peste noire.

Mes compagnons sont certes blessés, mais ne sont plus malades.

Nous retournons enfin au Isawa-Kyuden pour nous reposer. J’en profite pour explorer encore quelques jours les rayons de leur bibliothèque.

Kakita-sama, accompagné d’Ayame-san et de Yuki-san, rentre tout de suite faire son rapport à Otosan-uchi à Miya Yoto.

Kazehiko-kun profite de l’occasion pour passer quelques jours avec sa famille.

つ づ く
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Les maux du Phénix
Résumé 3.1, Année 1122, Tatsuya no Monogatari

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Contribution de Breloque
竜也の物語

Au troisième jour du mois du Serpent de l’année 1122, au sein de la cité impériale, Isawa Kazehiko san demande au Shikken l’autorisation de quitter son service pour rejoindre sa terre natale, frappée par une étrange maladie qui affecte les shugenja du clan du Phénix.

Celui-ci refuse de le laisser partir seul et c’est toute notre coterie qui se retrouve à errer à nouveau sur les routes de Rokugan. Non sans que j’ai personnellement organisé les préparatifs à notre voyage. Miya Yoto dono en apprenant la nouvelle de notre départ, demande à Kakita Sheru sama d’en profiter pour évaluer l’impact de ce funeste événement sur les forces du Phénix. La période est trouble et chaque clan mesure sa force.

La route de la côte d’or nous mène deux semaines plus tard aux abords de Kyuden Isawa. Comment ne pas remarquer le silence assourdissant de la nature en ce début de printemps ? Aucun cri d’oiseau, aucun crissement des cigales… pas un bruit. Les eta que nous croisons nous salue respectueusement mais se masque le visage. Quelle étrange pratique. Nous approchons d’un village et Yuki san remarque qu’il n’y a personne dans les rizières attenantes. Arrivés dans ce petit village de pêcheur, il semble déserté. Etrange. Comme si les gens s’étaient subitement enfuis ou même… évanoui ? Un marchand aurait fui en laissant toutes ses marchandises sur son étal ? Les tables d’un restaurant sont encore couvertes de victuailles. Et pourtant, pas de trace visible de fuite ou de lutte.

A l’horizon marin, aucun bateau. Dans le petit port, un des esquifs à quai est complètement calciné, brûlé par un incendie. Kazehiko-san remarque en marge du village une fosse avec des corps incinérés. Probablement récemment. Il remarque au loin des chiens errants émaciés, le regard fou, qui courent vers lui.

Les sorts de Kazehiko-san frappent la meute, mais cela ne suffit pas à les faire fuir. Les samurai viennent lui prêter assistance et tranchent les mastiffs affamés dans le vif. Ils sont nombreux à tomber, mais pourtant la meute ne cesse pas ses attaques. D’autres chiens continuent à arriver. Il faut un puissant sort d’Ayame-chan pour repousser les molosses. La sourde détonation de la foudre qui tombe fait fuir les chiens.

Je prends le temps de laisser une offrande et de formuler une prière à l’attention des habitants disparus dans le petit autel du village.

Kazehiko-san convoque un kami de brume sous la forme d’un petit oiseau messager pour prévenir sa famille de son arrivée.

Nous reprenons la route jusqu’au Kyuden Isawa. Le jour rougit en fin d’après-midi quand nous approchons enfin de notre destination.

Devant les portes barricadées, sur près de trois kilomètres, des centaines de réfugiés sont agglutinés aux pieds des portes de la ville. De nombreuses tentes de fortunes ont été dressées aux abords de la route boueuse. A quelques dizaine de mètres de la route, des moines sont en train d’officier face à un bûcher funéraire.

Des grognements mécontents se font entendre alors que nous remontons la file.

Les quatre gardes à la porte nous accueillent et évoquent une « fièvre noire » qui frappe les terres du Phénix, avant de nous laisser rentrer une fois que Kazehiko-san s’est présenté.

C’est un certain Isawa Hujo qui nous accueille.

Nous apprenons de sa bouche que les Shugenja sont les vecteurs de la maladie mais qu’ils n’en souffrent pas comme les autres. Selon lui, les prières aux kamis ont tendance à accélérer la propagation de la maladie.
Nous prenons nos quartiers dans une auberge confortable. Kakita-sama missionne subtilement Kazehiko-san pour qu’il trouve un cadeau à offrir au daimyo le lendemain matin, puis il prend un bain chaud pour se détendre du long voyage.

J’accompagne Kazehiko-san chez ses parents. C’est sa mère qui nous accueille. Son père semble être le seul shugenja atteint par les symptômes de la maladie. Elle a été discrète à son propos. Les symptômes sont assez rapides : une légère fièvre, une très grande lassitude, une toux sévère, déshydratation, des délires dans lesquels ils voient leur corps se déliter pour alimenter une créature humanoïde qui prend forme peu à peu. La peau du malade se couvre ensuite de stries rougeâtres. Plus la maladie progresse, plus le corps s’affaiblit. La langue gonfle au point d’empêcher le malade de se nourrir. Puis une fièvre terrible emporte le malade. Dans quelques rares cas le malade survit, son physique récupère peu à peu mais la peau s’affine et des croûtes se développent. L’ultime phase est une folie bestiale qui emporte le malade. La rumeur dit qu’ils se transforment en oni ou en troll si on ne met pas un terme à ce supplice.

La façon dont cela se propage me fait clairement penser à l’Outremonde…

Je demande à pouvoir prier à son chevet. Ma prière s’intensifie et mon troisième œil s’ouvre sur une vision où je vois le destin qui attend le père de mon jeune ami si nous ne trouvons pas un remède à son mal. Son corps devient de plus en plus blanc, sa peau translucide laissant apparaître ses organes. Son corps se recouvre de plaques rouges et noires. Il devient squelettique et meurt.

Nous nous isolons dans le cabinet de travail de son père. Nous tâchons de réaliser une belle calligraphie qui narre les connaissances collectées lors de notre dernière aventure qui nous a mis face à une antique prophétie. Un cadeau qui nous semble à propos.

Avant de partir, Isawa Kazehiko dépose son collier de jade auprès de son père, dans l’espoir que le nemuranai le protège.

Le lendemain matin, après une nuit agitée pour certains, nous avons la désagréable surprise de découvrir que Kakita-sama et Yuki-san semblent avoir contracté la maladie.

Nous nous rendons au palais pour présenter nos hommages au daimyo mais celui-ci, en pleine méditation, n’est pas en mesure de nous recevoir aujourd’hui.

En sortant du palais, un eta nous remet un pli. Un rendez-vous dans les jardins attenants. La calligraphie est fine et porte le mon des Isawa. Nous nous y rendons et c’est la fille du daimyo, Isawa Minori, qui s’y trouve, entourée de deux yojimbo. Elle nous confie que son père est malade et requiert notre aide. La ville ne tardera pas à sombrer dans le chaos selon elle. Elle nous apprend que la tempête qui stationne au-dessus d’Isawa Mori est apparue après l’éclipse. Enfin, elle nous accorde une formidable faveur : un accès à la grande bibliothèque. Kazehiko-kun et moi sommes particulièrement enthousiastes à l’idée de pouvoir accéder à ce puits de connaissance.

Elle nous salue avec respect avant de partir et je suis surpris par l’honneur qu’elle me fait en s’inclinant face à moi.

Malheureusement, Kazehiko-kun se met à tousser à son tour.

Après avoir échangé avec des samurai bibliothécaires récalcitrants, nous parvenons à entrer dans le saint des saints de la connaissance, grâce au sauf-conduit signé de la main du daimyo qui nous a été confié par sa fille. Les rayonnages sont vertigineux et l’odeur de poussière et de vieux parchemin sont comme une promesse de sapience.

Pendant ce temps-là, Kakita-sama et sa yojimbo découvre que leurs serviteurs ont disparu ainsi que leurs affaires. Plus personne dans l’auberge. Ils reviennent chercher Kazehiko-san et Ayame-san à la bibliothèque. Je m’esquive pour retourner à mes lectures. Hors de question de quitter ce lieu prématurément. C’est l’occasion rêvée de trouver des réponses à des questions.

Je tombe sur un parchemin vieux de deux cent ans, en 922.

Ce dernier raconte une légende, celle d’un shugenja du clan du Phénix, Isawa Kuzuki, à la réputation sulfureuse. Ce jeune shugenja, avide de savoir, s’acoquinerait avec les démons. Il fut banni par sa famille face à cette réputation honteuse. Aigri par l’esprit de vengeance, il aurait invoqué un oni depuis son manoir de la forêt de Kuroi Mori en Mori Isawa pour se venger de sa famille. La cérémonie d’invocation coïncida avec une éclipse. L’oni puissant ainsi conjuré enseigna la plus noire des magies au shugenja félon.

Ce dernier prit ensuite la route pour le sud. Et à force de mensonges il obtint la confiance des Shiba. Il devait même présider à un mariage entre Shiba Tsatsura et sa fiancée Asako Reiha. Sauf que Kuzuki tomba éperdument amoureux de cette dernière et il utilisa ses nouveaux pouvoirs pour la tromper. Fascinée par la noire marie, elle dénonça ses vœux de mariage en public. La honte de la famille Asako fut si grande que Reiha se fit seppuku. Et Kuzuki fut à nouveau banni.

Rongé par le remord, il réalisa que l’oni l’avait dupé et se jouait de lui et de ses sentiments. Conscient d’avoir perdu l’amour de sa vie, il retourna à Kuroi Mori pour tenter de purger son âme de la corruption. C’est par une nuit sans lune, au centre d’un nuage hurlant, qu’il tenta de renvoyer son conseiller dans le royaume de l’Outremonde. Il coupa ainsi le lien qui l’unissait à l’oni et libéra la créature qui prit le nom d’Oni-no-Kuzuki. Ce dernier tua Kuzuki.

Le parchemin est garni d’annotations qui semblent… plutôt récentes.

Alors que j’en termine avec mes recherches, Kakita-sama et ses hommes retrouvent Isawa Hujo. Après une discussion tendue, ils récupèrent nos affaires et nos serviteurs.

Kazehiko récupère son collier de jade et fait ses adieux à ses parents.

Nous nous retrouvons en dehors de l’enceinte de Kyuden Isawa, direction Kuroi-Mori.
Forcé de faire halte à la nuit tombée, nous montons un campement de fortune à la lisière de la forêt. Kakita-sama a fait une très mauvaise nuit. La fièvre gagne du terrain.

Daidoji parvient à chasser quelques écureuils pour agrémenter les rations dans nos écuelles, qu’elle en soit remerciée ! Nous reprenons la route et pénétrons dans l’antique forêt. C’est une ancienne forêt et nous progressons sous la frondaison d’arbres séculaires aux racines noueuses. Était-ce une pie à trois yeux que j’ai vu décoller de cette branche ? Une légère brume donne au lieu une aura de mystère.

Puis l’ambiance change soudainement. La corruption semble avoir dévoré l’endroit. Un brouillard poisseux masque à peine une herbe jaunie. Nos pas libèrent une odeur putride. Les doigts crochus des arbres nous menacent. Une pluie sourde tombe sur mon sandokasa, mon chapeau de paille tressée.

Alors que nous progressons plus avant dans ce lieu maudit, la brume semble comme habitée.
Je me rapproche de Kazehiko-kun qui murmure « Les gaki, ils sont là. »

En effet, des silhouettes semblent se dessiner dans la brume. Nous peinons à garder les poneys sous contrôle et progressons lentement. Le vent souffle fort et siffle à nos oreilles. Et pourtant la brume est toujours là, persistante.

Le vent se transforme en bourrasque. La bourrasque en tornade. Nous peinons à garder les yeux ouverts. Impossible de rester grouper ensemble. Je ne quitte pas le jeune shugenja d’une semelle et pose ma main sur son épaule pour ne pas le quitter. Nous utilisons son kusarigama pour rester connectés.
Dans le maelstrom, une lumière verte nous attire.

Puis le vent cesse. Nous sommes dans la cour d’un manoir construit en pierre. Des flammes vertes nous éclairent. Une lumière qui pulse depuis l’intérieur du manoir. Des fantômes prisonniers du manoir hurlent.
La pluie a cessé.

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